CRITIQUE CINÉMA – Avec 28 ans plus tard, Danny Boyle opère un retour saisissant dans l’univers post-apocalyptique qui l’a consacré comme maître du genre, en mariant subtilement nostalgie acide, ironie mordante et audace narrative. Lors de la projection presse au Mamut II mercredi soir, puis à la grande avant-première de l’Etele Plaza, le public a pu mesurer combien l’apocalypse de Boyle joue habilement entre confort familier et usure des conventions, tout en réservant quelques déviations inattendues. Les vieux ressorts du genre sont convoqués sans complexe, mais l’histoire surprend par sa noirceur, son humour grinçant et surtout par le récit bouleversant d’un jeune garçon projeté brutalement dans l’âge adulte – preuve que Boyle a encore de la rage à revendre, même si le monstre n’est plus tout jeune.
S’il existe un genre qui questionne sans relâche la frontière ténue entre la vie et la mort, c’est bien le film de zombies. Peu d’œuvres, pourtant, sont allées aussi loin que le déjà culte 28 Days Later de Danny Boyle, où le Royaume-Uni se retrouve bouclé pour contenir le virus « Rage », transformant la population en prédateurs effrénés. Pour le reste du monde, l’enfer s’est soudain retrouvé délimité, presque rassurant dans son horreur. Une aubaine, n’est-ce pas ?
Sang, sueur et statistiques
Bien sûr, ce semblant de confinement a vite volé en éclats : déjà en 2007, 28 Weeks Later de Juan Carlos Fresnadillo fissurait les murailles, mais Boyle, dans ce nouvel opus, ramène dès les premiers plans la saga à ses sources brutes. Un rappel puissant des raisons pour lesquelles ce chef-d’œuvre post-11 septembre n’a jamais quitté la mémoire collective – il met à nu la fragilité de notre vernis civilisationnel. Il ne s’agit pas seulement de la rage autodestructrice de l’Occident ; c’est une méditation brutale sur la manière dont l’instinct de survie peut être plus dangereux que n’importe quelle menace extérieure. Ceux que nous aimons vivent à jamais dans nos souvenirs ; les victimes anonymes à l’autre bout du monde semblent n’avoir jamais existé. Comme le disait un célèbre bourreau : « Une mort est une tragédie, un million de morts, c’est une statistique. »
Les films de zombies fascinent parce qu’ils révèlent l’impersonnel au cœur de l’intime – et 28 Days Later demeure peut-être le plus glaçant, avec ses infectés qui se transforment et attaquent à une vitesse cauchemardesque. Nulle échappatoire réelle : voilà toute l’horreur. 28 ans plus tard s’élance vers cette même vérité, mais avec l’audace de chercher la rédemption. C’est un équilibre étrange et gratifiant entre tension pure et émotion sincère, nourri par la philosophie athée et les paris narratifs débridés du tandem Boyle-Garland. Le message est limpide : nier la mort, c’est vider la vie de tout sens.
Holy Island : refuge ou mirage ?
Nous ne sommes pas dans un simple film d’épouvante – 28 ans plus tard privilégie la tension à la terreur. On y retrouve toute la brutalité, les gerbes de sang et les assauts sauvages du grand spectacle horrifique, mais le monde a changé depuis la première vague du virus Rage et la panique pure ne suffit plus à faire frissonner. Les infectés continuent de se jeter sur l’écran avec une frénésie hallucinée, et une séquence d’ouverture – des enfants hypnotisés par les Teletubbies, bientôt transformés en festin macabre – rivalise de malaise avec les moments les plus sombres de la saga. Pourtant, Boyle a l’intelligence (et le tourment) de reconnaître qu’en 2025, les zombies véloces n’effraient plus autant. Même le prologue ressemble davantage à un rituel bien rodé qu’à un véritable choc.
La caméra se tourne alors vers la petite communauté recluse de Holy Island, qui survit, contre vents et marées, près de trente ans après la catastrophe. Cette île de Northumberland (180 habitants en réalité) n’est accessible qu’à marée basse, et ses habitants ont forgé leurs propres lois, coupés du continent et indifférents à la ruine du monde. Les patrouilles maritimes maintiennent le blocus ; nul ne s’échappe, mais sans électricité ni confort, l’isolement prend des allures de luxe ambigu.
Pour le jeune Spike, douze ans, tout est simple : devenir aussi endurant que son père Jamie (Aaron Taylor-Johnson) et trouver un remède pour sa mère Isla (Jodie Comer), atteinte d’un mal étrange. Son premier passage vers la terre ferme prend des airs de rite initiatique tout droit sorti d’un roman d’anticipation pour adolescents – rituel, anxieux, entrecoupé même d’extraits de vieux films de guerre britanniques, comme si l’histoire voulait se souvenir de ses vieux démons coloniaux.
Ombres et cauchemars
Mais l’apprentissage de Spike s’avère bien plus dangereux que prévu. Accompagné de Jamie, il croise de nouvelles variantes de contaminés – des « Slow-Low » massifs, des « Alphas » aux attributs grotesques, sans oublier les sprinteurs en haillons. Pourtant, ce ne sont pas les monstres qui fascinent le plus Spike, mais l’immensité sauvage qui s’étend au-delà de l’île : champs, forêts, et un feu éternel entretenu par un ex-médecin aussi fou que redouté, que Jamie évite soigneusement. Là-bas, Spike rêve de trouver un remède pour les maux mystérieux de sa mère. Lassé par la résignation de son père et convaincu que la vraie virilité, c’est de protéger les siens à tout prix, Spike s’arme de flèches, emmène sa mère hors de l’île et part à la recherche du médecin fou – en misant tout sur un miracle.
Dans sa seconde moitié, 28 ans plus tard retrouve l’essence de la saga : des survivants vulnérables errent dans une Angleterre dévastée, cherchant à échapper à des infectés toujours plus imprévisibles. Mais le véritable fil rouge, c’est la photographie hyper-anamorphique d’Anthony Dod Mantle, qui revisite l’esthétique brute du Canon XL1 originel pour équilibrer la laideur de l’effondrement et la beauté d’une possible renaissance. La palette est éclatante, mais l’indifférence glacée de la nature reste omniprésente. Boyle se régale de plans stylisés de massacres de zombies – un « bullet-time » fauché qui transforme chaque flèche dans la gorge en tableau sanglant – alors même que le scénario suggère que les infectés ne sont peut-être pas aussi dénués de conscience qu’on pourrait le croire.
Où finit l’humanité ?
Si la peur pure n’est pas toujours au rendez-vous, Boyle et Garland compensent par une tension plus étrange, presque existentielle. Ici, les monstres semblent plus humains que jamais – la frontière entre « eux » et « nous » devient question de regard, non de génétique. J’avoue, les premiers indices sur « l’évolution » des contaminés m’ont fait sourire (le zombie pensant, c’est l’écueil du genre), mais le scénario de Garland pousse le concept dans des directions si inattendues que j’ai fini par y adhérer.
Ce regard neuf est porté par l’innocence de Spike. Boyle, qui a toujours su révéler la vérité des enfants à l’écran, offre ici à Alfie Williams un premier rôle marquant : l’enfant oscille entre la bravoure du survivant et la vulnérabilité du fils, offrant au film ses moments les plus crus et sincères.
Destins au bord du gouffre
Jodie Comer livre ici une performance rare : son personnage, Isla, n’est plus seulement une silhouette en sueur à l’arrière-plan, mais un vrai centre émotionnel. Si sa démence paraît d’abord relever du cliché hollywoodien – elle confond parfois son fils avec son propre père disparu –, les scènes qui en résultent ajoutent une intensité inattendue, brouillant la frontière entre vivants et morts. Le malaise de Spike, pris pour un adulte par sa mère, donne à ces instants une force singulière. Quoi qu’il en soit, on comprend vite que 28 ans plus tard n’est que le premier acte : la suite, intitulée The Bone Temple par Nia DaCosta, est déjà annoncée, mais ce chapitre d’ouverture n’en demeure pas moins riche en moments mémorables.
Élevé dans l’ombre d’une apocalypse zombie, Spike vient d’un monde où la mort est toujours ailleurs. Quelques croix esseulées marquent la lisière du village, mais le deuil se vit « là-bas » – au-delà des eaux, dans un ailleurs presque inaccessible. Holy Island est hantée par ses fantômes, mais il n’y a plus de médecin depuis longtemps ; lorsqu’un habitant disparaît sur le continent, toute tentative de sauvetage est interdite. C’est en affrontant la déchéance de sa mère que Spike comprend : la mort est partout, ici comme ailleurs – et pour sauver Isla, il doit accepter ce qu’il a toujours fui.
Le dernier acte est tout en contemplation et en gravité – un basculement aussi brutal que le virage militaire et violent du dernier tiers du premier film. Ralph Fiennes surélève l’ensemble dans le rôle du Dr Kelson, qui mélange la folie du Colonel Kurtz et la fantaisie de Dumbledore (sa réplique sur « la magie du placenta ! » est déjà culte). Cette fin, aussi émouvante qu’inattendue, abandonne la fuite en avant de Spike pour explorer comment on ne perd vraiment quelqu’un que lorsqu’on l’efface de sa mémoire.
Memento mori – Le prix de la vie
Si l’on oublie que tout a une fin, la vie perd tout son sens. Le monde a peut-être abandonné l’Angleterre à la pourriture, mais toute société qui tolère la transformation d’un pays en fosse commune est déjà malade. Boyle, heureusement, n’en fait pas des tonnes dans la compassion philosophique envers les contaminés : on reste dans un vrai film de zombies, cru, sans fard, et l’empathie reste mesurée par les règles du genre. Pourtant, 28 ans plus tard utilise brillamment tous les codes du film de zombies pour rappeler que la frontière entre tragédie et statistique est bien plus fine qu’on ne le pense. La magie du placenta, en effet.
– Herpai Gergely « BadSector » –
28 ans plus tard
Direction - 8.4
Acteurs - 8.6
Histoire - 8.2
Visuels/Musique/Sons/Action - 8.1
Ambiance - 8.6
8.4
EXCELLENT
28 ans plus tard insuffle un regard neuf et une véritable tension familiale au mythe zombie, tout en maintenant chez Boyle une brutalité, une ironie et une profondeur philosophique intactes. Les personnages sont d’une humanité troublante, leurs choix parfois douloureux mais toujours compréhensibles. Ce n’est que le début d’un récit plus vaste, mais l’essentiel est là : ici, l’horreur n’est rien sans l’épreuve du face-à-face avec soi-même.