Better Man – Une biographie musicale qui pousse le concept jusqu’au délire

CRITIQUE DE FILM – Comment dynamiser une énième biographie musicale narcissique ? Avec des singes. Je suis tout à fait sérieux. Better Man est né d’une conversation entre l’icône de la pop britannique Robbie Williams et le réalisateur Michael Gracey.

 

Williams a confié qu’au fil de sa carrière, il s’était souvent senti comme un « singe dansant », une idée que Gracey a transformée en un concept visuel saisissant. Plutôt que de faire rejouer les performances iconiques de Williams par un acteur, le chanteur prête sa voix à une version animée et numérisée de lui-même sous forme de singe. Le pari semble insensé, mais, contre toute attente, il fonctionne. Le résultat insuffle une fraîcheur bienvenue à un genre souvent enlisé dans ses histoires prévisibles de drogues, de célébrité et de rédemption.

 

 

« Moi je joue, moi je danse, comme un singe » – Brigitte Bardot, Moi je joue (1964)

 

Jonno Davies prête son talent au motion-capture pour incarner Robbie Williams en chimpanzé, que l’on découvre dans ses plus jeunes années sous les traits d’un adorable enfant sauvage. Autour de lui, tout le monde reste humain : son père Peter (Steve Pemberton), un homme négligent, fanatique de Sinatra et éternel fuyard ; sa mère Janet (Kate Mulvany), dévouée mais reléguée à l’arrière-plan ; et sa grand-mère Betty (Alison Steadman), le cœur émotionnel du film. Better Man retrace l’ascension fulgurante de Williams : de l’enfant chétif toujours choisi en dernier dans les équipes de sport à ses concerts légendaires à Knebworth, peu avant son internement en cure de désintoxication. On assiste à sa trajectoire chaotique, de la célébrité soudaine avec le boys band Take That jusqu’à son explosion en solo, à travers une série d’événements qui ont solidifié son statut de légende de la pop — pour le meilleur ou pour le pire.

Je l’avoue, j’ai toujours eu un faible pour les biopics musicaux, surtout lorsqu’un singe numérique dopé à la cocaïne en est la vedette. Cela dit, Robbie Williams n’a jamais figuré dans mes playlists Spotify. Heureusement, Better Man ne requiert aucune adoration aveugle du répertoire ou de la vie de Williams. Grâce aux talents de mise en scène de Gracey — déjà remarqués dans The Greatest Showman —, chaque morceau de Williams résonne avec une intensité particulière, parfaitement intégré aux étapes cruciales de sa carrière. En mariant somptuosité visuelle et émotion brute, Gracey sublime les chansons réenregistrées pour le film, ajoutant une dimension à la fois spectaculaire et poignante.

 

Une idée folle, mais parfaitement maîtrisée

 

De prime abord, l’idée d’un Better Man centré sur un chanteur-singe semble absurde, une simple attraction de cirque. Mais la vision de Gracey reste remarquablement équilibrée et jamais surréaliste. L’estime de soi fragile de Williams, fondée sur son succès auprès des fans et le nombre de billets vendus, est illustrée avec une évidence tellement poussée qu’elle en devient brillante. Les mouvements captés de Jonno Davies rivalisent avec ceux des meilleurs La Planète des singes, tandis que la voix de Williams ancre son alter ego dans une troublante réalité. L’animation, d’un réalisme saisissant, s’intègre si naturellement à l’univers du film que les personnages ne sourcillent même pas face à l’absurdité, et nous non plus. Ce tour de force ne faiblit jamais, une réussite en soi tant il repose sur un équilibre précaire entre le grotesque et la crédibilité.

Cet alter ego simiesque apporte un souffle nouveau aux thèmes classiques des récits « Behind the Music ». Les luttes de Williams contre l’alcoolisme, la toxicomanie et la dépression restent profondément bouleversantes, mais Gracey les réinvente avec une ingéniosité visuelle qui marque les esprits. Dans des séquences hallucinées, Williams fait face à ses doubles passés — eux aussi sous forme de singes —, qui l’observent avec mépris. Une scène culmine dans un champ de bataille cauchemardesque où l’arène entière se transforme en une armée de clones guerriers de lui-même. Ce tableau, digne d’un blockbuster de La Planète des singes, réinvente l’expression cinématographique des traumas personnels. Les personnages combattant leurs démons intérieurs ne sont pas nouveaux, mais combien doivent affronter leurs doubles simiesques en gladiateurs ?

 

 

Les limites du biopic musical

 

Malgré son originalité audacieuse, Better Man ne parvient pas à se défaire totalement des poncifs du biopic musical. L’arc narratif rappelle celui de Rocketman ou de Bohemian Rhapsody : un artiste brûle ses ponts, flirte avec la destruction, puis atteint un moment de grâce scénique qui change tout.

Les addictions précoces de Williams et son adolescence dans un boys band ne sont pas des thèmes inédits, et la satire mordante de Walk Hard: The Dewey Cox Story plane en arrière-plan, rappelant à quel point ce type de récit peut sombrer dans le convenu. Même si le scénario — coécrit par Oliver Cole et Simon Gleeson — contient des fulgurances créatives, il retombe parfois dans une certaine prévisibilité.

 

 

Entre audace et sincérité

 

Et pourtant, Better Man parvient à nous toucher par sa sincérité désarmante. La relation entre Williams et sa grand-mère Betty constitue le cœur émotionnel du récit, culminant dans une séquence dévastatrice pour quiconque connaît Nan’s Song. L’énergie atteint son paroxysme lors d’une scène hilarante où Take That s’empare de Piccadilly Circus pour un clip délirant sur Rock DJ. Plus touchante encore est la danse romantique entre Williams et Nicole Appleton (Raechelle Banno) sur She’s the One, entrecoupée d’images poignantes de leurs tentatives douloureuses de fonder une famille. Certaines décisions narratives, comme le choix de mettre en avant son père absent plutôt que sa mère dévouée, laissent perplexe. Mais malgré ces maladresses, Gracey réussit à provoquer l’émotion avec une justesse qui force le respect.

Better Man se hisse dans une catégorie à part des biopics musicaux. Robbie Williams prend un concept que seul lui aurait pu oser, et Michael Gracey en tire le meilleur parti. Ce n’est ni un gadget, ni un simple spectacle farfelu : la version simiesque de Williams est le cœur vibrant du film. En équilibrant l’absurde et l’authentique, Gracey prouve que l’histoire, même dans sa forme la plus improbable, peut transcender la bizarrerie. Que Better Man soit ou non un projet narcissique, il n’en reste pas moins un film incontournable, porté par des performances solides et une vision artistique unique.

-Gergely Herpai « BadSector »-

 

 

Better Man

Direction - 8.2
Acteurs - 7.8
Histoire - 7.6
Visuels/Musique/Sons - 9.2
Ambiance - 8.2

8.2

EXCELLENT

Better Man réinvente le biopic musical grâce à un concept audacieux et une réalisation sincère. À travers la métaphore du « singe dansant », Michael Gracey livre un film à la fois spectaculaire et profondément humain, qui s’élève au-dessus des clichés du genre. C’est une œuvre à la fois drôle, émouvante et brillante, qui mérite amplement sa place parmi les grands films biographiques.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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