The Witcher : peut-on vraiment accuser CD Projekt Red de sexisme ?

Cette semaine, la saga The Witcher de CD Projekt Red a été taxée de sexiste par The Chinese Room. L’accusation est-elle vraiment justifié ?

Alors que le site anglophone GameSpot faisait de la pub pour l’un de ses articles concernant Cyberpunk 2077, les indépendants de The Chinese Room ont vite taclé les développeurs polonais en affirmant que leur prochain projet était au moins aussi sexiste que la saga The Witcher :

La remarque n’a pas atterri dans les oreilles d’un sourd (ou sur l’écran d’un aveugle), et les réseaux sociaux se sont emparés du débat, opposant ainsi les partisans de CD Projekt Red, et ses détracteurs afin de savoir si The Witcher était une œuvre sexiste. Faisons un point rapide sur la question en restant objectif.

Du contenu d’adultes pour un jeu d’adultes

Ne nous voilons pas la face, la saga The Witcher est connue pour son contenu érotique. Du premier épisode de la saga où il était possible de collectionner des cartes coquines, en passant par The Witcher 2 et ses scènes explicites, et jusqu’à The Witcher 3 qui propose certaines scènes de nu, il est vrai que CD Projekt Red n’a aucune gêne à afficher des corps dénudés dans leurs jeux qui, rappelons-le en passant, sont clairement destinés à des publics avertis. Certains choix esthétiques concernant des personnages féminins flirtent d’ailleurs avec l’irrationnel : dans The Witcher 3, par exemple, la tenue de Corinne Tilly (la rêveuse de Novigrad) est plus sexy que pratique, le décolleté plongeant de Cyn ne doit pas la protéger de grand-chose lors de combats à l’épée, et les talons de Ciri ne devraient logiquement pas être très pratiques lorsqu’il s’agit de courir et d’échapper à la Chasse Sauvage…

Il est également de notoriété publique que Geralt est un coureur de jupons. Le personnage se veut viril dans tous les clichés liés au terme, et il lui est souvent possible de faire une escale dans la couche de plusieurs femmes au cours de ces aventures. D’un certain point de vue, en se concentrant uniquement là-dessus, on pourrait alors en déduire que les jeux de la saga The Witcher font l’apologie d’un masculinisme idéalisé vantant les mérites d’un héros dont la valeur reposerait – en partie – sur sa capacité à coucher à droite à gauche sans vergogne, utilisant ainsi les femmes comme des objets sexuels uniquement présentes pour assouvir les besoins physiques de monsieur. Du moins est-ce l’interprétation qui peut en être faite si on s’attarde uniquement sur cet aspect de la vie de Geralt, en faisant fi d’autres éléments pourtant diablement importants si l’on veut cerner le personnage avec plus d’objectivité.

La place des femmes dans The Witcher

Cependant, l’analyse ci-haut se cantonne à la forme et néglige quelque peu le fond d’une œuvre aussi complexe que peut l’être la saga The Witcher. Si on y constate effectivement des choix esthétiques tels que des décolletés à foison qui sont là pour appâter le chaland, il serait dommage de ne pas prendre en compte le traitement psychologique des personnages féminins ainsi que leur place dans l’univers des jeux de la série.

Les femmes qui campent le rôle de personnages principaux sont souvent des éléments-clés de l’intrigue. Ainsi, on a pu constater que la Loge des Magiciennes était un groupe extrêmement influent au sein de l’échiquier politique, tirant parfois les ficelles dans l’ombre grâce à leur rôle de conseillères des monarques. Certaines d’entre elles sont ainsi de redoutables stratèges qui ne pensent qu’à leur profit personnel. Elles jouent parfois un rôle central dans le développement de certaines situations, comme lorsque Triss mène Geralt par le bout du nez en profitant de son amnésie, ou quand Philippa essaie de contrôler Saskia tout en manipulant Dijkstra au passage afin de profiter de son influence, le tout pour satisfaire son ambition personnelle. Dans ces cas de figure, l’histoire nous présente des femmes étant de véritable stratèges de guerre, capable de modifier le cours de l’histoire de par leur force, leur caractère, et leur capacité d’influence.

Mais les femmes ne se cantonnent pas au rôle d’antagoniste dans l’univers de The Witcher. Pour qui n’a pas lu les livres, Yennefer a été un véritable coup de cœur pour beaucoup de joueurs qui l’ont découverte dans le troisième opus de la série, et pas uniquement à cause de son physique ou de son élégance. Véritable dame de fer, Yennefer est un personnage haut en couleurs qui occupe le premier plan de la scène à chacune de ses apparitions, allant jusqu’à éclipser le protagoniste et à suivre son propre chemin en ignorant celui que semble tracer le destin. Véritable amour de Geralt (sauf si on choisit Triss in-game), celle-ci possède une véritable influence sur lui, et sous ses airs de matrone autoritaire se cache un cœur extrêmement sensible que l’on découvre à de rares moment de l’aventure. Loin d’être une simple caution sexy servant de faire-valoir, Yennefer se révèle être un personnage complexe et qui force le respect.

On pourra également citer le cas de Triss, jeune magicienne au tempérament de feu qui ne recule devant rien pour obtenir ce qu’elle désire, et dont la langue bien pendue est souvent la source de dialogues ou de situations tantôt hilarantes et tantôt adorables au cours du deuxième et du troisième épisode. Citons aussi le cas de Saskia le dragon doré qui prend les traits d’une jeune femme courageuse luttant pour la liberté des peuples opprimés, devenant l’effigie du combat contre le tyran ennemi. Véritable lumière parmi les ténèbres, elle inspire des personnages pourtant connus pour être sévères et intransigeants, tel que le redoutable Iorveth qui lui est dévoué corps et âme alors qu’il déteste viscéralement les humains. Et ce n’est pas tout, nous pourrions également parler des heures durant des solides personnages telles que Shani (l’un des personnages principaux de Heart of Stone), les malicieuses jumelles Var Attre, la talentueuse Priscilla (qui est sûrement la seule au monde à réussir l’exploit d’impressionner Jaskier), ou encore la courageuse Cerys, fille de l’ancien dirigeant de Skellige, et dont les aptitudes de suzeraine dépassent amplement celles de son impulsif de frère.

Et quid de Ciri, la fille adoptive de Geralt ? Elle, dont le caractère semble avoir été forgé dans l’acier joue un rôle central dans la trame scénaristique de la saga, étant à la fois membre d’une famille royale, porteuse d’un pouvoir ancien, et disciple d’une école de sorceleur ayant fourni au monde certains des plus puissants guerriers jamais connus. Ciri est l’exemple-même de la jeune femme qui refuse toute notion de destin et qui refuse que l’on choisisse son chemin pour elle. Elle rejette l’autorité parentale royale, traverse une série d’épreuves toutes plus difficiles les unes que les autres, affronte ses responsabilités en refusant les portes de sortie qu’on lui présente, et est prête à se sacrifier pour le bien du plus grand nombre. Ciri est bel et bien le personnage principal de l’histoire au même titre que Geralt (même si on regrette son absence sur la jaquette officielle du jeu), et elle peut être incarnée dans The Witcher 3 par le joueur lors de passages qui n’ont rien à envier aux aventures de son père. Ciri est aussi un élément essentiel de la vie de Geralt, et chacun apporte beaucoup à l’autre, sans que l’un des deux ne prenne véritablement l’ascendant. Contrairement à un Bioshock Infinite qui relègue parfois Elizabeth au rang d’accessoire narratif, Ciri apporte énormément de choses à Geralt, et vice-versa.

Oui, mais les autres ?

Évidemment, les paragraphes ci-dessus ne concernent que les femmes incarnant des rôles de personnages forts. Et bien que les demoiselles citées ci-haut sont déjà un argument prouvant que le studio CD Projekt Red ne prend pas les femmes à la légère dans le processus créatif de ses jeux, il y a pourtant un argument qui revient souvent et que nous devons aborder : la place des femmes communes dans The Witcher. Le héros, en effet, peut par exemple aller chez les prostituées dans le troisième épisode de la saga, et certains détracteurs arguent qu’il s’agit là d’une fonctionnalité prévue pour plaire aux joueurs masculins au détriment de l’image de la femme. Ce point de vue se tient, mais il faut prendre en compte que les passages répétés au lupanar sont aussi l’occasion d’observer des scénettes humoristiques. De plus, l’existence de ces maisons closes s’explique aussi par l’univers de The Witcher qui se veut fortement inspiré de la période médiévale européenne, et dont la pauvreté des personnes les plus démunies et l’absence de systèmes de protections sociales permettent ce genre de dérive. Bien sûr, cela n’empêche pas que permettre au joueur d’avoir des rapports tarifés était loin d’être une fonctionnalité nécessaire à l’immersion… on peut cependant relativiser par le fait que ces visites ne soient pas obligatoires. Tout comme il n’est pas obligatoire non plus de tromper Triss dans The Witcher 2, ni de faire de même dans l’épisode suivant malgré les possibilités existantes.

Il est impossible de retranscrire un univers typé médiéval sans en reproduire les travers qui sont associés à un tel environnement. Il ne faut pas perdre de vue que la mise en place d’une situation donnée et révoltante ne constitue pas obligatoirement une apologie de cette situation. Parfois, montrer le pire permet de dénoncer, comme lors de la quête qui nous place à la poursuite du Petit Bâtard, ou celle qui nous permet de traquer un prêtre-tueur en série, les deux nous mettant face à des tortionnaires tueurs de femmes – qu’il nous est heureusement permis de punir comme il se doit. Parfois, décrire le pire permet de faire ressortir le meilleur de nous-mêmes. Dénoncer est un concept important qu’il serait dommage d’abandonner au profit de scènes édulcorées qui ne nous montreraient que d’agréables choses dans le but d’acheter la paix sociale.

Le cas Geralt

Nous avons vu plus haut qu’une des facettes les plus visibles de Geralt relevait de l’archétype de l’homme occidentalement viril, physique, et sexuellement hyperactif. Or, juger le personnage sur cette seule base est trop réducteur pour espérer dresser un portrait fidèle. Au-delà de cette aptitude à charmer certaines personnages (en insistant sur le mot « certaines », car on oublie trop souvent que dans l’univers des trois jeux, les sorceleurs répugnent plus qu’ils n’attirent) et à déployer ses gros muscles, Geralt est avant toute chose un homme amoureux ainsi qu’un père adoptif.

The Witcher 3 – mais aussi The Witcher 2 selon les choix effectués par le joueur – tournent d’ailleurs autour de ces deux axes. Geralt veut à tout prix retrouver Yennefer, l’amour de sa vie qui semble remplir un trou dans son coeur – sûrement causé par les effets secondaires de sa mutation qui l’ont dépouillé de certaines de ses émotions. Geralt voue un respect total à Yennefer (ainsi qu’à Triss si on choisit de s’écarter du canon scénaristique) et à tout ce qu’elle représente. Et loin d’un Mario qui porte tout le jeu sur ses épaules pour sauver une princesse-trophée, Geralt entretient un lien avec Yennefer qui est d’autant plus solide que celle-ci tient le rôle de la colistière et non du faire-valoir. Yennefer accompagne la quête de Geralt, l’aide, mène la danse quand cela est nécessaire, et en vient parfois même à juger – voire sanctionner sévèrement – Geralt lorsque l’occasion se présente. Dans l’histoire, Yennefer mène sa propre barque aux côtés de celle de Geralt. Elle ne vient pas s’ajouter au décor, elle marche à ses côtés, et affirme ainsi sa propre existence. Sa présence complète le héros qui perdrait une grande partie de lui-même sans elle.

Quant à la quête de Geralt pour retrouver Ciri, celle-ci nous présente l’image d’un père prêt à tout pour protéger sa fille et qui pense au fond de lui qu’elle ne peut pas tout affronter. Il est intéressant de voir que ce paternalisme se confronte à la réalité à partir des dernières quêtes principales du jeu, lorsque Geralt doit accepter le fait que sa fille est devenue une femme, que celle-ci a déjà affronté énormément de choses par elle-même, et que la dernière étape dans sa quête de sauvetage du monde doit être effectuée seule. Geralt, même s’il demeure toujours un père dont certaines de ses actions modèlent l’éducation de sa fille (les fameuses étapes qui influent sur les différentes fins du jeu), Geralt apprend à lâcher prise et à observer sa fille voler de ses propres ailes. Le cliché social du paternalisme veut que le père soit une forteresse impénétrable construite par un père autour de sa fille, mais le jeu affiche un point de vue plus progressiste en laissant le héros apprendre qu’il ne peut finalement être que le havre de paix vers lequel sa fille peut se tourner en cas de besoin, mais dans lequel elle ne peut pas rester indéfiniment car sa destinée lui appartient.

Les deux femmes les plus importantes dans la vie de Geralt, loin d’être de banals accessoires, sont deux architectes de sa personnalité. Elles l’aident à évoluer et à apprendre.

CD Projekt Red est-il sexiste ?

Malgré certaines tentations marketing – telle que la foire aux décolletés – qui sont relativement flagrantes, il est impossible de ne pas ressentir la sincérité des créateurs de la saga The Witcher dans leur volonté de ne pas céder à l’appel des clichés sexistes que l’on connait. Lorsque l’on se plonge au sein de la trame narrative et que l’on s’intéresse aux dynamiques qui relient les personnages, on ne peut faire l’impasse sur le rôle-clés des femmes présentes au sein de la licence. Celles-ci sont tantôt des ennemies redoutables, tantôt des alliées fidèles, et parfois mêmes des icônes héroïques; La saga met sans cesse en avant des femmes fatales et influentes en ne mettant guère en lumière les femmes-objets, ces dernières n’étant finalement que les éléments immuables d’un monde sombre et violent que les narrateurs ne cautionnent à aucun moment. La remarque de The Chinese Room est donc assez étonnante, et on se demande si la/les personne(s) à l’origine de cette remarque a/ont joué aux jeux de la série afin de se faire une opinion plus aiguisée à ce sujet

Au sujet de l’image de Cyberpunk 2077 qui nous montre ce qui semble être une femme-androïde/cyborg en petite tenue, il est maladroit de juger celle-ci sans en connaître le contexte. Peut-être est-ce un type d’assassin déguisé en prostituée ? Même si l’on est en droit de se demander « pourquoi ceci et pas autre chose ? », il est en revanche difficile de juger ce projet sans en connaître le scénario qui pourrait très bien justifier ce choix ou, au contraire, le rendre futile. Il est prématuré de juger un jeu dont on ne connait finalement qu’un ou deux artworks et qui peut encore évoluer au gré des inspirations et des années de développement restantes.

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Anikó, our news editor and communication manager, is more interested in the business side of the gaming industry. She worked at banks, and she has a vast knowledge of business life. Still, she likes puzzle and story-oriented games, like Sherlock Holmes: Crimes & Punishments, which is her favourite title. She also played The Sims 3, but after accidentally killing a whole sim family, swore not to play it again. (For our office address, email and phone number check out our IMPRESSUM)