CRITIQUE DE FILM – À Hollywood, rares sont les réalisateurs qui osent encore aborder des sujets politiques brûlants. Lorsque le financement provient d’une plateforme de streaming ou d’un grand studio, il est illusoire d’espérer des critiques sociales incisives. L’époque où des cinéastes comme Francis Ford Coppola ou Alan Pakula signaient des chefs-d’œuvre tels que Conversation secrète ou Les Hommes du président semble révolue. Même le remake de Un crime dans la tête (2004) de Jonathan Demme, salué pour son audace politique, fête désormais ses vingt ans. Ces œuvres, visionnaires à leur époque, ressemblent aujourd’hui à des semi-documentaires, prophétiques dans leur analyse du pouvoir.
Avec The Apprentice, Ali Abbasi ne prétend pas signer un chef-d’œuvre, mais livre un film réfléchi et provocant. Il s’attaque frontalement à l’une des figures les plus clivantes de notre ère, offrant une réflexion acerbe sur les États-Unis et le monde à travers le prisme d’un président, ancien et désormais de retour au pouvoir.
Sebastian Stan incarne brillamment le jeune Donald Trump, un homme gauche et vulnérable dans l’ombre de son père autoritaire, au cœur des années 1970 et 1980. Quant à Jeremy Strong, il s’approprie magistralement le rôle de Roy Cohn, célèbre avocat au passé controversé : conseiller clé de McCarthy durant les audiences sur l’armée, et figure centrale du procès Rosenberg, qui conduisit à l’exécution du couple pour espionnage en 1953. Lorsque le récit d’Abbasi commence dans les années 1970, Cohn est déjà un maître de la manipulation, et sa rencontre avec Trump marque un tournant décisif.
En 1973, Donald Trump est accusé d’avoir enfreint le Fair Housing Act en excluant les Afro-Américains de ses propriétés. Entrant en scène, Roy Cohn orchestre une riposte audacieuse : un contre-procès de 100 millions de dollars contre le gouvernement. Si cette stratégie est rapidement rejetée par un juge fédéral, Trump conclut un accord à l’amiable, une première victoire dans une carrière marquée par une ambition dévorante et une absence totale de scrupules.
La « règle d’or » de Trump : Attaque, nie, gagne
La performance de Sebastian Stan est impressionnante, illustrant avec finesse l’évolution de Trump, de l’opportuniste maladroit des années 1970 au magnat arrogant des années 1980. Le cœur du récit repose sur sa relation avec Roy Cohn, incarné par Jeremy Strong avec une intensité troublante. Mentor autant qu’avocat, Cohn transmet à Trump trois règles fondamentales : « Attaque, nie, et n’admets jamais la défaite. »
Abbasi adopte une distance froide et calculée pour décrire cette dynamique mentor-protégé, évitant tout didactisme. L’efficacité de ces principes est évidente dans la carrière de Trump, et le réalisateur n’éprouve nul besoin d’insister lourdement dessus. Cette retenue, bien que louable, confère parfois un rythme lent aux deux premiers tiers du film. Mais les performances des acteurs compensent largement : Stan capte magistralement l’évolution de Trump, tandis que Maria Bakalova, dans le rôle d’Ivana Trump, brille par son énergie et sa subtilité.
L’une des scènes les plus marquantes met en lumière l’effondrement du mariage entre Donald et Ivana. Cette dernière, désespérée de raviver leur relation, propose de réanimer leur vie intime. La réponse de Trump est glaçante : il la rejette froidement, critiquant ouvertement ses implants mammaires qu’il avait lui-même encouragés, avant de la pousser violemment au sol et de l’agresser sexuellement. Bien que certains puissent argumenter sur une ambiguïté de consentement, la mise en scène d’Abbasi ne laisse aucun doute : il s’agit d’un viol. Une séquence à la fois choquante et révélatrice, en parfaite cohérence avec le portrait dressé du personnage.
Un président sans scrupules ni conscience
Pas étonnant que The Apprentice ait provoqué la fureur des alliés de Trump. Dan Snyder, l’un des investisseurs du film et proche du président, aurait explosé de colère après une projection en février, selon Variety. Trump lui-même a qualifié le film de « pure fiction » et menacé de poursuites judiciaires. Pourtant, Abbasi – qui s’appuie sur le scénario de Gabriel Sherman – reste fidèle à une représentation précise et glaçante de la réalité. Aucun embellissement n’est nécessaire, tant le comportement dépeint résonne avec ce que le monde a déjà observé.
Le film n’offre pas de révélations fracassantes, mais il contextualise de manière frappante l’ascension de Trump et son retour au pouvoir. Ce qui ressort le plus, c’est un constat glaçant : les États-Unis sont dirigés par un homme sans boussole morale, sans empathie, dont les décisions ne sont guidées que par ses intérêts personnels. Ni un serviteur du peuple, ni un patriote, Trump se consacre uniquement à son propre enrichissement.
Avec The Apprentice, Abbasi signe une œuvre ambitieuse, quoique pas assez percutante pour renverser les convictions des spectateurs. Toutefois, sa précision et son audace suffisent à susciter l’indignation. Une forme de résistance silencieuse, qui reflète une époque où la subtilité est méconnue, mais où tout le monde comprend l’injonction : « Attaque, attaque, attaque. »
-Gergely Herpai « BadSector » –
The Apprentice
Direction - 7.4
Acteurs - 8.6
Histoire - 7.1
Visuels/Musique/Sons - 8.2
Ambiance - 7.2
7.7
BON
Avec The Apprentice, Ali Abbasi propose une analyse troublante et impitoyable des ombres du pouvoir. Porté par les performances exceptionnelles de Sebastian Stan et Jeremy Strong, le film reste gravé dans les mémoires, même s’il ne révolutionne rien. Il agit comme un miroir sans concession de la réalité politique et sociale actuelle.