CRITIQUE DE FILM – Avec Dust Bunny, Bryan Fuller aborde la peur enfantine comme un conte noir, où le deuil et le traumatisme se mêlent à une intrigue de tueur à gages volontairement décalée. Le film déploie une imagination visuelle foisonnante et construit un univers singulier, quitte à laisser certaines de ses pièces ne jamais s’imbriquer totalement. Une première œuvre dérangeante et atmosphérique, qui fascine autant qu’elle déstabilise.
Après près de trente ans passés à façonner des séries télévisées à l’identité très marquée, Bryan Fuller signe enfin son premier long métrage. Un délai étonnant au regard de sa notoriété, mais Dust Bunny dissipe rapidement toute idée d’hésitation ou d’improvisation. Le cinéaste semble avoir attendu le projet capable d’accueillir, sans filtre, un imaginaire baroque qu’il affinait depuis longtemps. Le film prend ainsi la forme d’un conte moderne et sombre, où l’imaginaire de l’enfance se heurte frontalement à la brutalité du monde adulte.
Depuis toujours, Fuller affectionne le fait de prendre des expressions banales au pied de la lettre pour les pousser jusqu’à l’absurde. Ici, il construit un postulat macabre à partir des « dust bunnies » et des peurs nocturnes de l’enfance. Et si le monstre sous le lit n’était pas une invention de l’esprit, mais une créature affamée, capable de ronger les murs ? Et si, face à cette menace, une enfant décidait de ne pas chercher refuge auprès des adultes, mais de faire appel à un tueur à gages ?
Le monstre sous le lit, le tueur à côté
Au cœur du récit se trouve Aurora, une fillette à l’imagination débordante, hantée par des cris et des grondements nocturnes, convaincue qu’un monstre vorace se cache sous son lit. Lorsque ses parents disparaissent, Aurora ne doute pas de leur sort : le porszörny les a dévorés. Désespérée, elle se tourne vers son voisin, un homme énigmatique qu’elle a déjà aperçu en train de terrasser des dragons dans une ruelle. Elle le paie avec de l’argent subtilisé dans le tronc d’une église. À mesure qu’il découvre le passé chaotique de l’enfant, l’homme accepte finalement de l’aider.
La première moitié du film évolue volontairement dans une forme de flottement. Les dialogues sont rares, et la narration progresse par l’image, l’atmosphère et de minuscules gestes plutôt que par l’exposition classique. Fuller refuse la précipitation et laisse le spectateur s’installer dans un monde à la fois familier et déformé, où les peurs ont une consistance physique et où la réalité obéit à une logique de conte.
Un univers qui s’élargit, sans jamais se refermer
À mesure que Dust Bunny avance, son dispositif initial, en apparence simple, gagne en épaisseur. Apparaît alors Laverne, la responsable du tueur, qui suggère l’existence d’un véritable sous-monde à la manière de John Wick. Sigourney Weaver dévore littéralement ses scènes, incarnant une figure dont la voracité s’exprime autant dans les dialogues que dans les banquets qui jalonnent ses apparitions. Le film rappelle ainsi que les monstres ne se cantonnent pas aux chambres d’enfants.
Difficile de ne pas penser à ces récits où une alliance improbable se noue entre un enfant et un professionnel de la violence. Fuller reprend ce schéma, mais le filtre à travers une esthétique volontairement stylisée, presque artificielle. Ce parti pris fait toute la singularité du film, mais constitue aussi son principal point de rupture avec le public. Ceux qui acceptent cet humour distancié et ces excès de conte y trouveront leur compte ; les autres risquent de rester à l’écart.
Lorsque de nouveaux personnages entrent en jeu et que l’univers semble s’élargir, le film dépasse progressivement sa métaphore la plus évidente sur le traumatisme de l’enfance. Pourtant, une impression persiste : ce monde est davantage esquissé que pleinement exploré. Certaines idées demeurent à l’état de suggestion, comme dissimulées derrière une tapisserie richement brodée.
Une splendeur visuelle aux leçons incertaines
La maîtrise visuelle de Bryan Fuller ne fait aucun doute. La profusion des décors et l’explosion des couleurs masquent souvent la relative minceur du récit. Les décors de Jeremy Reed et la photographie dense et ombragée de Nicole Hirsch Whitaker composent un univers dans lequel il est facile de se perdre, même lorsque l’allégorie sous-jacente refuse de se cristalliser en un message clair.
Le jeu des acteurs constitue l’un des piliers du film. Sophia Sloan et Mads Mikkelsen forment un duo convaincant, porté par une alchimie évidente. Reste néanmoins le sentiment qu’ils auraient pu aller plus loin encore, si le scénario leur avait offert des enjeux plus profonds et des arcs narratifs plus amples.
En définitive, Dust Bunny ressemble à ce qu’il est : un premier film qui trahit à la fois l’expérience de son auteur et les limites inhérentes à un tel exercice. L’empreinte de Fuller est indéniable, mais l’ensemble s’apparente davantage à une expérimentation de genre élégante et audacieuse qu’à une œuvre pleinement aboutie.
-Herpai Gergely “BadSector”-
Dust Bunny
Direction - 6.5
Acteurs - 6.8
Histoire - 5.4
Visuels/Musique/Sons - 8.4
Ambiance - 6.4
6.7
BON
Dust Bunny est un film visuellement audacieux, à l’atmosphère affirmée, qui explore les peurs de l’enfance par le prisme du conte noir. Si son ambition esthétique dépasse parfois la profondeur de son récit, la mise en scène et les performances maintiennent l’intérêt. Pour un premier long métrage, Bryan Fuller signe une entrée en matière singulière et mémorable.





