Bachelor Party – C’est le genre d’enterrement de vie de garçon dont tu t’enfuis vite

CRITIQUE DE FILM – Sur le papier, Bachelor Party coche à peu près toutes les cases de la comédie populaire hongroise de 2025 : adaptation d’une pièce à succès, casting rempli de visages connus, décors balnéaires au bord du Balaton, premier long métrage d’un réalisateur très médiatisé et campagne promo promettant une avalanche de péripéties “surréalistes”. À l’écran, pourtant, tout cela se traduit par un déluge de gags trop propres, déconnectés de la réalité, qui forcent tellement qu’ils finissent par épuiser. Deux médecins généralistes censés être adultes se comportent comme s’ils étaient coincés dans des épisodes d’un mauvais programme de sketches, et le spectateur se voit promettre une soirée de célibataire “inoubliable” dont il ne retiendra finalement que la rareté des vrais éclats de rire. Le grand drame du film n’est pas l’épreuve de l’amitié, mais à quel point il échoue à produire un humour authentique.

 

Il faut d’abord préciser d’où vient tout ça : Bachelor Party n’est pas le remake hongrois du film de 1984 avec Tom Hanks Bachelor Party (sorti en France sous le titre Le Palace en délire), et ce n’est pas non plus une suite ni un spin-off de Legénybúcsú Extra (2023), même si le titre peut facilement induire en erreur. Vajk Szente adapte ici sa propre pièce, jouée avec succès depuis 2019, une farce survitaminée qui a déjà prouvé son efficacité au Játékszín de Budapest et en tournée. La version filmée est une production indépendante tournée en une vingtaine de jours – 23 jours de tournage – avec une équipe d’une cinquantaine de personnes et un casting qui aligne Márk Ember, Tibor Fehér, Rebeka Kárpáti, Franciska Törőcsik, András Csonka, Sándor Nagy, Imre Csuja, Ádám Varga et, bien sûr, la “guest star” très mise en avant dans la promo, György Korda. Le problème, c’est que ce que la scène peut absorber, la caméra le grossit sans pitié : la surcharge théâtrale devient souvent cabotinage creux à l’écran, et la bouffonnerie vire trop souvent à la simple liste de gags.

Le point de départ a pourtant tout pour plaire sur le papier : Alex (Márk Ember) et Simon (Tibor Fehér) sont médecins généralistes, amis inséparables depuis vingt et un ans, associés dans le même cabinet, la même entreprise, la même trajectoire de vie en gros. Simon s’apprête à se marier, et Alex se met une pression folle pour organiser “le meilleur enterrement de vie de garçon du monde” pour son pote. Selon le scénario, la soirée dépasse très vite le cadre de départ au bord du Balaton et entraîne le duo d’une situation “surréaliste” à l’autre : resort de golf de luxe, joueurs de poker louches, prêtres et nonnes, cadavre supposé mal interprété, policiers, forces spéciales, chaos dans un hôtel. Sur le papier, cela pourrait donner une comédie de potes rythmée et percutante ; en pratique, Bachelor Party abandonne le peu de réalisme qu’il avait au bout d’une demi-heure et se contente ensuite de sauter de scène en scène, comme si quelqu’un avait voulu découper un acte de théâtre surécrit en plans de cinéma.

 

 

Des héros irréels, des médecins déguisés en clowns

 

Le principal problème de Bachelor Party, c’est que ses personnages principaux ne sont pas des êtres humains, mais des générateurs de situations comiques. Alex et Simon sont censés être des médecins responsables, des adultes qui s’occupent de la santé de leurs patients ; à l’écran, on dirait plutôt les animateurs de deux chaînes YouTube de caméras cachées mal écrites. Le personnage de Tibor Fehér joue sans sourciller tout le capital de leur cabinet commun comme s’il venait simplement de perdre quelques gemmes dans un free-to-play, et Alex – incarné par Márk Ember – réagit à cet effondrement économique et existentiel avec un jeu “inhumainement” faible et peu crédible. La scène qui devrait faire trembler les bases de leur amitié et de leur vie n’a finalement pas plus de poids qu’une blague ratée entre deux coupures pub.

Sur le papier, la chimie entre les deux repose sur vingt et un ans de passé commun ; à l’écran, on a surtout l’impression de voir deux invités d’émissions différentes coincés par erreur sur le même plateau. Il y a de l’énergie dans le jeu de Márk Ember, mais elle est placée au mauvais endroit : ses réactions permanentes en surchauffe, ses gestes affolés, ses crises de panique hystériques ne le rendent pas drôle, juste fatigant. En face, Tibor Fehér n’a tout simplement pas le coffre comique nécessaire : il a souvent un temps de retard sur le rythme ou en fait un peu trop, comme s’il guettait sans cesse le moment où quelqu’un va enfin lui dire “là, il faut faire rire”.

Cette impression d’irréalité ne se limite pas aux réactions des personnages, elle traverse toute la dramaturgie. Le film enchaîne les “tu ne l’avais pas vu venir, hein ?” sans aucun rapport avec la manière dont des gens normaux se comportent – même dans des situations extrêmes. Le problème n’est pas que l’intrigue s’éloigne du réel, ce qui n’a rien de choquant dans une comédie, mais qu’elle n’offre jamais le moindre point d’ancrage émotionnel. On ne ressent jamais ce petit “ça pourrait presque nous arriver”, indispensable pour rire d’un enterrement de vie de garçon qui tourne au chaos – d’autant que, pour être honnête, il n’y a pas vraiment de “vrai” enterrement de vie de garçon dans le film. Ici, on a plutôt l’impression que quelqu’un veut désespérément être drôle sans la moindre idée de ce qu’est la vie en dehors du logiciel de scénario.

 

 

Second rôles gâchés et humour qui tombe à plat

 

Autre grande tragédie de Bachelor Party : pendant que les héros pataugent, plusieurs seconds rôles franchement doués pour la comédie restent sous-exploités alors qu’ils auraient pu porter le film sur leurs épaules. En directeur d’hôtel, András Csonka capte parfaitement ce type de petit chef un peu névrosé, un peu surexcité et un peu mesquin, qu’on prend plaisir à regarder. On voit par éclairs à quel point son sens du rythme comique fonctionne quand le réalisateur le laisse simplement jouer – puis le scénario le renvoie aussitôt à l’arrière-plan, comme s’il craignait qu’un second rôle devienne plus intéressant que les deux héros.

C’est la même chose avec le prêtre interprété par Sándor Nagy : le personnage a du potentiel, l’acteur a largement l’expérience nécessaire pour livrer des scènes mémorables, mais le film semble tout faire pour le brider. En employé de l’hôtel, Ádám Varga apporte exactement ce type d’énergie comique tendue et bien rythmée qui devrait être l’épine dorsale d’un tel film, mais lui non plus n’a jamais assez de place pour vraiment s’exprimer. Le spectateur récupère donc quelques moments réellement drôles, qui donnent l’impression de venir d’un autre film bien meilleur, avant de replonger dans le chaos laborieux des personnages principaux.

Rebeka Kárpáti est un cas à part. C’est clairement un nom qui attire, mis en avant sur les affiches et dans les bandes-annonces, et elle a indéniablement une vraie présence à l’écran, mais le rôle qu’elle hérite est une illustration quasi scolaire de la manière dont un “beau personnage féminin” sert plus souvent de décor que de personne. Dans la première partie, le film laisse croire qu’il pourrait il y avoir une profondeur, une trajectoire ; dans la seconde, tout s’effondre, et le personnage devient tout simplement invraisemblable. Non pas parce que Rebeka Kárpáti manquerait de talent, mais parce que personne ne s’est soucié de faire de ce rôle autre chose qu’un amas de clichés supposément “chics” mais désespérément creux.

Le nom de Franciska Törőcsik fait aussi bonne figure au générique, surtout pour ceux qui l’ont appréciée dans la série historique Rise of the Raven, mais ici elle se retrouve cantonnée à un rôle éclair totalement oubliable, que n’importe quelle débutante aurait pu assurer. Son potentiel comique ne transparaît jamais, non pas parce qu’il n’existe pas, mais parce que le scénario ne lui laisse strictement rien à jouer. Quant à György Korda, en joueur compulsif accro aux cartes, il est, sur le papier, l’un des grands gags du film ; en pratique, il livre un caméo correct mais anecdotique, dont la simple annonce aura été plus amusante que la scène elle-même.

Globalement, le niveau d’humour flotte dans les eaux les plus stagnantes de la comédie hongroise. La moitié des blagues sont des calembours de cour d’école, grillés dès leur amorce, l’autre moitié paraît tellement forcée qu’on dirait des improvisations de plateau conservées par facilité. Lors de la projection presse, les critiques ont très peu ri, et ce n’est pas parce qu’ils seraient “blasés”, mais parce que le film peine à susciter le moindre rire franc. Bien sûr, quelques répliques feront sourire certains, mais vu le temps, l’argent et le talent investis, on est en droit d’attendre autre chose qu’un best of de gags moyens.

 

 

Pourquoi ce ne sera jamais le nouveau Glass Tiger

 

Replacé dans l’histoire de la comédie hongroise, Bachelor Party laisse un arrière-goût particulièrement amer. Il y a Le Témoin, qui réussissait à être à la fois une satire politique féroce et une comédie toujours citée aujourd’hui. Il y a Glass Tiger, qui, avec quelques personnages parfaitement brossés, quelques caravanes déglinguées et un certain Tonó, avait créé un univers que les spectateurs pouvaient vraiment s’approprier. Bachelor Party, lui, se déroule dans un monde lisse et qui sent l’odeur de brochure publicitaire, vaguement connecté à la vie réelle, où tout le monde est un peu trop bien coiffé, tous les décors un peu trop design et tous les conflits un peu trop dépourvus d’enjeu.

Techniquement, pourtant, ce n’est pas un désastre. La photographie de Tamás Babos atteint sans problème le niveau correct attendu d’un film grand public en 2025 : le Balaton et le resort de golf ont belle allure, les intérieurs d’hôtel sont correctement éclairés. La musique et le mixage son sont eux aussi du travail d’artisan sérieux, sans pour autant offrir quoi que ce soit de mémorable. Le souci ne vient pas de l’emballage, mais de ce qu’il contient : tout ce package repose sur un scénario sans colonne vertébrale, sans véritable thème et sans envie de dire quoi que ce soit de pertinent sur l’amitié, la responsabilité ou le passage à l’âge adulte.

Au final, Bachelor Party est typiquement le genre de comédie hongroise qui veut uniquement divertir, mais oublie qu’il existe un minimum de qualité pour y parvenir. Son histoire fortement détachée de la vie quotidienne vire à l’“irréel”, les réactions de ses héros sont comiquement (mais pas drôlement) faibles, les blagues oscillent entre calembours fatigués et vannes qui ne déclenchent qu’un soupir, et les seconds rôles sont sacrifiés alors qu’ils portent en eux un film bien meilleur. Il manque à tout ça une âme, du courage, un minimum d’autodérision – et, tant qu’à faire, un véritable sens de l’humour. On est très loin d’un nouveau Glass Tiger, et même d’une petite comédie légère correcte à voir une fois : on a plutôt l’impression d’un enterrement de vie de garçon raté qui n’en finit pas, où tout le monde voudrait rentrer au bout de dix minutes, mais où quelqu’un continue à commander “un dernier verre”.

-Herpai Gergely “BadSector”-

 

Bachelor Party

Direction - 3.5
Acteurs - 3.6
Histoire/blagues - 2.8
Visuels/Musique/Sons - 5.6
Ambiance - 3.2

3.7

MAUVAIS

Bachelor Party est l’adaptation très médiocre d’une pièce à succès, incapable de transposer sur grand écran l’énergie de la farce théâtrale. Avec son histoire irréelle, ses gags faibles et les réactions peu crédibles de ses personnages principaux, le film offre très peu de prise au spectateur, tandis que les comédiens vraiment doués pour la comédie ne bénéficient que de quelques apparitions furtives. Au final, on se retrouve face à une comédie hongroise fatiguée et par moments totalement insignifiante, qu’on peut supporter une fois par bonne volonté, mais qu’on préférera oublier dès le lendemain.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)