Rue Valley : un clone de Disco Elysium en boucle temporelle, à la fois brillant et épuisant

RPG narratif qui porte ouvertement aux nues l’un des meilleurs jeux de rôle de la dernière décennie, Rue Valley y ajoute des voyages dans le temps et une structure d’anneau temporel de quarante-cinq minutes pour mieux accrocher le joueur. Le résultat est loin d’être parfait et trébuche souvent sur son propre rythme, mais il regorge d’idées et de moments suffisamment forts pour donner envie de comprendre comment sortir de cette expérience étrange.

 

Qu’Disco Elysium fasse partie des meilleurs RPG des dix dernières années est un constat difficile à contester, et il est tout aussi évident qu’un grand nombre de jeux récents s’en inspirent. C’est inévitable : il suffit de penser à des créateurs comme ceux de Dark Souls, Darkest Dungeon ou Slay the Spire. Lorsqu’un jeu fonctionne et apporte des idées neuves au médium, d’autres finissent forcément par vouloir lui ressembler, non pas seulement comme stratégie marketing ou pour vendre davantage, mais parce que les développeurs ont aimé ces œuvres et souhaitent retrouver ce même élan créatif. Rue Valley appartient à cette famille : sa direction artistique, la façon dont on prend des décisions, la manière de façonner son personnage, jusqu’aux interminables dialogues internes du héros rappellent tous Disco Elysium. Dans le même temps, Rue Valley ose aussi ses propres éclairages, capables de déplacer légèrement notre regard.

Que propose donc Rue Valley de différent par rapport à Disco Elysium ? Avant tout, sa structure. Disco Elysium est un jeu de rôle à tendance policière, où l’on parcourt une ville pour démêler une affaire. On y croise une galerie de personnages très variés, on se retrouve dans des situations absurdes, et l’histoire avance jour après jour. Rue Valley ressemble à cela en surface, mais le fonctionnement est bien différent. On incarne un homme qui reprend conscience dans le cabinet d’une thérapeute, discute avec elle, quitte la pièce, se rend compte qu’il loge dans un motel au bord de la route à Rue Valley, croise une jeune femme, un voisin étrange, la réceptionniste, gagne sa chambre, en ressort, assiste à la fin du monde, puis se réveille de nouveau dans le même fauteuil de thérapie. Exactement ainsi. La grande particularité, c’est que tout repose sur une boucle temporelle de quarante-cinq minutes qui se répète : le protagoniste conserve ses souvenirs, les autres non, et c’est à nous de comprendre ce qui se passe réellement dans ce lieu bizarre où tout recommence sans cesse.

Comme point de départ, cette idée est vraiment solide et constitue clairement l’atout majeur de Rue Valley. Malgré les critiques que l’on peut formuler ensuite, la manière dont le jeu modifie subtilement les situations d’une boucle à l’autre, la façon dont le héros se délite peu à peu dans certains contextes, la manière dont il gère les informations qu’il accumule et la façon dont l’univers assume sa propre étrangeté suffisent à nous tenir en haleine pendant une vingtaine d’heures. Et, pour être honnête, si l’on me propose des vélociraptors, des méchants qui se séparent en morceaux à cause de peintres, un royaume appelé Kingdom of Hearts à ouvrir, des voyages dans le temps et toutes sortes de boucles temporelles, je suis preneur. Rue Valley offre tout cela et parvient en plus à recréer cette aura mystérieuse à l’Un jour sans fin, ce sentiment de ne pas savoir pourquoi l’on reste coincé dans ce cercle sans fin.

 

Les disciples de Disco Elysium commencent à arriver

 

Au-delà de cela, Rue Valley reprend intelligemment un élément qui faisait aussi la force de Disco Elysium. Le jeu de ZA/UM construisait sa narration autour de l’exploration de l’état mental de ses personnages ; ici, la boucle temporelle devient une métaphore de la dépression et du manque d’élan, de ce sentiment d’étouffement qui nous prend quand on se réveille chaque matin avec l’impression que rien n’avance. Rompre la boucle, c’est donc autant un combat intérieur contre l’usure qu’une énigme extérieure à résoudre. Boucle après boucle, on récolte de nouvelles informations sur les personnes que l’on rencontre, on décide un jour de quitter le motel pour arriver dans un lieu étrange, peuplé d’individus encore plus bizarres, une carte mentale vient organiser tout ce que l’on sait, et de ce réseau d’indices naissent des missions auxquelles on accède en dépensant des points d’inspiration.

Dans les faits, la boucle de gameplay – très proche, comme on le voit, de l’esprit de Disco Elysium – est plutôt bien construite. Alors pourquoi Rue Valley ne m’a-t-il pas totalement convaincu ? Parce qu’il tombe dans le piège que les jeux à boucle temporelle devraient absolument éviter : il gère mal l’ennui. Je pense à tous ces moments où l’on a déjà vécu une scène lors d’un cycle précédent, où l’on a épuisé toutes les possibilités d’une boucle et où l’on aimerait simplement passer à l’événement du matin suivant, ou encore quand le jeu nous demande de revenir à pied jusqu’à un point lointain de la carte. Pour faire avancer le temps, il faut réellement refaire ces trajets, attendre, répéter les mêmes actions. Il existe bien quelques raccourcis – on peut lire pour accélérer l’horloge – mais Rue Valley ne parvient jamais à maîtriser complètement ce flux, et de longues séquences deviennent lourdes et fatigantes. On avait déjà connu ce problème à l’époque de The Legend of Zelda: Majora’s Mask, mais dans un jeu d’action, ces allers-retours sont bien moins pesants que dans un titre comme Rue Valley, qui se rapproche davantage d’un jeu d’aventure graphique.

 

J’ai eu du mal à vraiment profiter de Rue Valley

 

Le tout est encore accentué par le style narratif que le jeu emprunte directement à Disco Elysium. Chaque conversation est saturée de longs monologues intérieurs qui étirent les scènes, et ces voix internes ne sont pas toujours aussi captivantes ni aussi bien écrites que dans le classique de ZA/UM. C’est une question de goût, mais pour moi, c’est le type d’écriture qui semble profonde au premier abord parce qu’elle est très chargée et pleine de réflexions intenses, alors qu’en dessous il manque du rythme et du mordant. Parfois, on n’a tout simplement pas besoin d’une page d’introspection pour savoir si l’on va voler ou non un pauvre stylo.

Je sais que beaucoup de joueurs détestent quand les critiques comparent sans cesse un jeu à un autre, mais dans un cas comme celui-ci, c’est presque impossible à éviter. C’est exactement pour cela que j’ai eu du mal à pleinement apprécier Rue Valley. Le jeu propose bien quelques passages marquants, très proches de l’ambiance de Twin Peaks, des rencontres inattendues, et il sait éveiller une vraie curiosité sur le lieu où l’on se trouve, sur ce qui arrive à cette ville et sur ce qui se passe dans la tête du héros. Pourtant, son rythme étrange, la façon dont il gère mal les attentes du joueur, le fait qu’il ne soit disponible qu’en anglais pour l’instant, et cette ressemblance permanente avec Disco Elysium sans jamais le surpasser finissent par laisser une impression mitigée. C’est le genre de jeu que l’on abandonne très facilement en cours de route. Et c’est tout le danger des titres qui se calent trop fortement sur un grand prédécesseur : s’ils n’ont pas au moins un aspect clairement supérieur, la comparaison finit par les dévorer. Malgré tout, si vous avez aimé Disco Elysium, que vous appréciez les voyages dans le temps, que vous êtes à l’aise en anglais et que vous avez plus de patience que moi, cela vaut la peine d’essayer, car derrière toutes ces frustrations se cachent des moments vraiment réussis.

 

Rue Valley est l’enfant de Disco Elysium et de The Legend of Zelda: Majora’s Mask

 

Officiellement, Rue Valley est présenté comme un RPG narratif sur un homme coincé dans une boucle temporelle, entouré de personnages secondaires aux passés douloureux et aux secrets inattendus, tandis que le protagoniste doit affronter ses propres blocages mentaux pour plonger au cœur de l’anomalie et découvrir la vérité sur ses origines. « Saurez-vous trouver le courage de percer les secrets de cette anomalie temporelle ? Trouverez-vous la force de surmonter l’adversité et de construire un avenir meilleur ? » demande le jeu au joueur.

Dans la pratique, Rue Valley ressemble à un croisement entre Disco Elysium et The Legend of Zelda: Majora’s Mask. Chaque boucle nous apporte de nouvelles informations qu’il faudra gérer intelligemment pour mieux affronter le cycle suivant. Chaque redémarrage offre de nouvelles réponses et de nouvelles énigmes, mais les moments les plus savoureux arrivent lorsque le désespoir du héros bascule dans l’absurde et que le récit se transforme soudain en comédie noire plutôt qu’en drame. Avec ses hauts et ses bas, Rue Valley reste un titre qui mérite d’être découvert si vous aimez ce type d’histoire en boucle temporelle, à la fois familière et singulière.

Source : 3djuegos

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