Néro – Road movie père–fille trempé de sang dans la France de la Renaissance

CRITIQUE DE SÉRIE — Le cinéma populaire français s’est récemment réconcilié avec la grande fresque d’aventures : le diptyque Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan / Les Trois Mousquetaires : Milady en a donné la mesure. Deux fois nommé aux César et visage familier du grand public, Pio Marmaï mène l’offensive 2025 de Netflix France avec les huit épisodes de Néro, tournés discrètement dans le Sud, avec des échappées en Italie et en Espagne. Le récit suit un tueur à gages sommé d’arracher sa fille, qu’il n’a pas vue depuis des années, à un entrelacs de forces malveillantes — une série ample et musclée située au XVIe siècle. Le voyage tient-il ses promesses ?

 

Nous sommes en 1504. Le Midi s’épuise sous une sécheresse inédite tandis que Néro vend sa lame au conseiller Rochemort (Louis-Do de Lencquesaing). Le notable arrange le mariage de sa fille, Hortense (Alice Isaaz), tout en lorgnant la place de son supérieur, Lamartine. À Rome, le Vatican déchiffre une prophétie inquiétante : le Diable prendra corps dans un enfant ; un émissaire est dépêché en France. La « cible » annoncée n’est autre que Perla (Lili-Rose Carlier Taboury), la fille de quatorze ans que Néro a laissée des années plus tôt à l’orphelinat, sous l’autorité du père Horace (Olivier Gourmet). Quand la stratégie de Rochemort s’enclenche, une chaîne de revers brutaux et de trahisons propulse Néro sur les routes avec Perla, talonnés par des poursuivants hostiles et quelques compagnons malgré eux. Ils doivent surtout éviter les Pénitents, fanatiques grimés de blanc, qui s’emparent l’un après l’autre de bourgs et de citadelles.

 

 

Du sang, de la poussière et l’éclair de l’acier

 

Aux manettes, Allan Mauduit (coréalisateur et coscénariste) et Jean-Patrick Benes (coscénariste) ne découvrent ni les zones grises ni les eaux troubles. Leur précédente série, Kaboul Kitchen (Canal+), épinglait déjà l’absurde d’un restaurant d’expatriés à Kaboul en pleine « guerre contre le terrorisme ». Ici, la rigueur historique n’est pas un totem : les dialogues assument une modernité crue, parfois triviale. Ce parti pris n’est pas une coquetterie ; il durcit les contours, resserre l’enjeu et rapproche les personnages du spectateur.

Néro accroche vite. L’univers est solidement charpenté, les personnages, dessinés d’un trait net, évoluent à un souffle de la mort. La survie tient moins du panache que du réflexe : mentir ou ruser va souvent plus vite que dégainer. Les décors espagnols et italiens ne relèvent pas de la carte postale : la série — et son antihéros — doivent beaucoup aux westerns all’italiana des années 1960-1970. Soleil cru, cadres larges, répliques taillées au silex : l’héritage est assumé.

 

 

Quand l’occulte croise la lame

 

Malgré une action stylisée et des inflexions mystiques — Camille Razat (Emily in Paris) campe une sorcière borgne et balafrée, authentique messagère de mort —, Néro ne relâche pas la pression à coups de clins d’œil. Après un développement au long cours, l’atterrissage chez Netflix privilégie la dramaturgie des caractères à la mécanique du rebondissement perpétuel, tout en osant, d’épisode en épisode, des virages marqués.

Au centre, deux liens père–fille. Rochemort et Hortense, d’abord : les circonstances et quelques révélations toxiques forcent la jeune femme à armer son intelligence, à jouer des masques et des apparences pour esquisser une autonomie fragile. Néro et Perla, ensuite : tueur moralement rapiécé, hédoniste sans illusions, il se découvre des principes — parce qu’il a trouvé la seule personne qu’il ne trahira pas.

 

 

Chronique aux lisières de l’horreur, veinée de suie sociale

 

La série s’autorise des incursions dans l’horreur et bifurque parfois vers le commentaire social : villages exsangues laissés à la poussière, massacres signés des Pénitents, élites civiles et religieuses prêtes à s’acoquiner pour sauver leur peau. Sans tirer sur la corde lacrymale, elle fait exister une petite troupe de marginaux auxquels on s’attache — la présence d’un Olivier Gourmet n’y est pas étrangère. On souhaiterait davantage d’air pour certains seconds rôles ; l’ensemble n’en arrive pas moins en ordre de marche, comme une aventure feuilletonesque pleinement formée, sûre de son ton et de ses textures.

 

 

Dernier plan : des choix, pas du décorum

 

Néro s’intéresse moins au « que se passe-t-il ? » qu’au « combien peut-on encaisser ? » lorsque des fins justes exigent des moyens sales. Néro, longtemps guidé par l’instant et le confort, se fixe des règles ; Perla n’est pas une simple clef de scénario, mais un lest qui déplace le centre de gravité de chaque scène. Le monde demeure froid, les décisions pèsent, et lorsque l’image se pose, ce qui subsiste n’est pas le spectacle mais la reddition de comptes. S’il doit y avoir une suite, qu’elle ne tienne pas à un cliffhanger opportuniste : ce territoire poussiéreux recèle encore assez de dettes et de fardeaux pour ses protagonistes.

– Herpai Gergely « BadSector » –

Néro

Direction - 8.2
Acteurs - 8.4
Histoire - 8.1
Visuels/Musique/Sons - 8.1
Ambiance - 8.2

8.2

EXCELLENT

Néro marie aventure historique et héritage du western all’italiana, sous-tendue par une veine occulte, en gardant l’enjeu au centre plutôt que la pyrotechnie. Deux dynamiques père–fille animent le récit — le jeu de pouvoir Rochemort/Hortense et l’alliance contrainte Néro/Perla — où la loyauté coûte plus cher qu’un rebondissement de plus. Quelques silhouettes gagneraient à s’épaissir, mais la rigueur de la mise en scène et la cohérence du monde rendent l’ensemble mémorable et prêt pour un second chapitre.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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