TEST – Europa Universalis V vous jette dans le grand bain dès 1337, au milieu des dynasties, des routes commerciales et des rivalités religieuses. On comprend très vite que la vraie victoire, c’est la compréhension du système. La population segmentée en strates, la logistique et la diplomatie composent un monde vivant et imprévisible, où de petites décisions résonnent encore des décennies plus tard. Ce n’est pas un jeu « à essayer un soir », mais un engagement stratégique sur des mois, où chaque pas compte.
En s’appuyant sur plus de vingt ans d’héritage, Paradox Tinto élargit l’aire de jeu : date de départ plus précoce, modèle démographique plus détaillé, diplomatie remaniée et options d’automatisation qui vous laissent vous concentrer sur les décisions structurantes. La carte est plus riche, l’arc temporel plus long, et les événements ne sont pas un simple décor mais des risques et des opportunités. L’objectif n’est pas seulement la conquête, c’est l’art de gouverner avec tout ce que cela implique.
Ici, gagner ne suffit pas, il faut comprendre tout le système
Paradox Interactive excelle depuis longtemps dans le grand strategy. Ses fans ont déjà traversé la Seconde Guerre mondiale (Hearts of Iron), les intrigues dynastiques du Moyen Âge (Crusader Kings) et les mutations sociales du XIXe siècle (Victoria). Depuis 2001, Europa Universalis reste fidèle à cette approche : réalisme, grande carte stratégique, vision à long terme. Le cinquième opus prolonge sciemment cette philosophie : la complexité n’est pas un bonus, c’est le cœur du jeu. Les débutants gagneront à consulter quelques guides, car le système est dense et les premières heures sans pitié.
Dès le menu principal façon tableau et les premières notes musicales, on sent que chaque détail pèse. Le jeu vous accompagne du milieu du XIVe siècle à l’aube du XIXe, aux portes des révolutions, et vous laisse trancher tous les dossiers d’État. L’abondance des options n’est pas gratuite : elle sert à vous faire sentir le mouvement de l’histoire entre vos mains.
« L’État, c’est moi »
La nouvelle date de départ est 1337, plus tôt que dans les épisodes précédents. Votre mission, en bref : faire fonctionner et développer votre pays, la conquête n’étant qu’une voie parmi d’autres. Le jeu recommande des nations selon trois styles : focus commerce et économie avec les Pays-Bas, accent diplomatique avec Naples, expansion agressive avec les Ottomans ou la Castille. Le choix n’est pas cosmétique, chaque nation a ses règles. Naples doit tenir ses frontières, la puissance de la Horde d’Or vient de sa mobilisation, l’interdiction de l’alcool dans les États islamiques a des effets concrets sur le commerce.
Ici, l’histoire agit comme générateur d’événements. La guerre de Cent Ans, la Réforme ou la Peste noire ne sont pas des toiles de fond, mais des tempêtes qui redessinent des régions et brisent des économies. Ce ne sont pas des intermèdes spectaculaires mais des contraintes de décision, différentes à chaque partie.
« L’eau finit toujours par gagner »
Le grand tournant, c’est la population en strates. Vous ne poussez plus un seul gros chiffre mais des groupes sociaux : noblesse, clergé, bourgeoisie, paysannerie. Chacun a son propre niveau de satisfaction. Si l’appui d’un groupe s’érode, la tension monte en coulisse jusqu’à l’explosion. Production, consommation, seuil de tolérance : tout diffère selon les strates, d’où l’entrelacement démographie-économie. Pénurie de main-d’œuvre : la production cale. Prix excessifs : l’émigration grimpe. Perturbations d’approvisionnement : la famine s’installe. Chaque décision de la Couronne, c’est-à-dire vous, recompose l’équilibre. Quand le soutien s’effrite, la fiscalité se tasse, la rue s’échauffe, la révolte n’est jamais loin.
Conquérir ne suffit pas, tenir est le vrai défi. Les provinces sont évaluées selon la distance à la capitale, la densité du réseau routier, la loyauté et la présence administrative. Si le contrôle faiblit, l’autonomie grimpe, l’impôt et la production chutent, et la collusion avec l’ennemi n’est pas à exclure. La taille de l’empire n’est pas un trophée, c’est une liste de tâches. L’intégration est lente, souvent sur des décennies, et exige bureaucratie, adaptation culturelle, infrastructures et loyauté. Presser le pas mène à la rébellion. Si les strates résistent, la noblesse désobéit, la bourgeoisie retient ses paiements.
Une bonne IA pour servir, pas pour régner
Le jeu offre de vastes automatismes : collecte des impôts, commerce, construction, recherche, et même certaines tâches militaires. Moins de microgestion, plus d’énergie pour la diplomatie, les réformes et les objectifs majeurs. Mais l’IA n’est pas infaillible. Elle investit parfois au mauvais endroit, lésine sur une frontière critique ou réduit une flotte au nom de « l’efficacité », choix qui coûte cher plus tard. Tout est question de dosage : bien réglée, elle vous fait gagner du temps, laissée sans supervision, elle multiplie les erreurs coûteuses. Des correctifs affineront sans doute ses comportements, et elle est déjà précieuse si on l’emploie avec discernement.
La guerre se gagne souvent à l’entrepôt. L’art de la guerre est un croisement entre logistique, moral, économie et démographie. Chaque perte n’est pas qu’un chiffre : c’est de la main-d’œuvre et de la production en moins. Lignes d’approvisionnement, stocks, ports et dépôts pèsent souvent avant le premier coup de feu. Remporter une victoire au terme d’un long siège est d’autant plus satisfaisant, mais le jeu ne vous pousse pas forcément vers la baïonnette : diplomatie, commerce et stabilité interne peuvent suffire. Parfois, la meilleure guerre est celle qui n’a pas lieu.
L’allié d’aujourd’hui peut être l’ennemi de demain, c’est la diplomatie
La diplomatie est sans doute la plus riche et la plus humaine de la série. Les États tiennent la comptabilité des services rendus et des affronts, et ces « points de faveur » constituent un capital politique réel. Vous ne gouvernez pas dans le vide : vos choix peuvent heurter les intérêts des strates. Une ligue protestante fait grincer le clergé, un accord commercial trop généreux froisse la noblesse. L’influence dépasse l’Europe : colonies, nœuds commerciaux et marchés lointains, agitation orchestrée, mariages dynastiques et pression économique font partie de l’arsenal.
La colonisation abandonne la romance, elle réclame du pragmatisme. Il faut de l’argent, des hommes et du temps, de l’approvisionnement, de la défense, une flotte et une administration. Faute d’un seul de ces ingrédients, la colonie s’étiole entre famine, troubles ou épidémies. Les sociétés autochtones ne sont pas des figurants : certaines commercent, d’autres résistent. La brutalité se sait et rejaillit sur la diplomatie européenne. Le gain est lent mais inestimable à long terme : nouvelles routes, produits de luxe intégrés à l’économie, prestige.
Europe, vraiment universelle
Le moteur Clausewitz renouvelé offre une carte plus détaillée, des animations plus souples et des effets plus riches, sans sacrifier la lisibilité stratégique. Les villes grossissent à l’écran, forêts et rivières vivent, les armées évoluent selon les époques. La musique se cale sur le pays et la situation, en paix comme en guerre, et le paysage sonore rythme les décisions. Les performances sont solides, mais les fins de partie peuvent ralentir, et l’IA paraît parfois passive ou incohérente. La tradition de suivi de Paradox laisse espérer du polissage, mais il faut composer dès maintenant avec ces angles rugueux.
-Herpai Gergely BadSector-
Pro
+ Population et économie profondes, segmentées par strates
+ Politique intérieure tangible, avec des conséquences sociales concrètes
+ Diplomatie mémorielle et conduite de la guerre flexible
Contre
– Intégration provinciale lente et éprouvante
– Automatisation qui priorise parfois mal et requiert de la supervision
– Courbe d’apprentissage abrupte pour les nouveaux venus
Développeur : Paradox Tinto
Éditeur : Paradox Interactive
Genre : Grande stratégie, gestion historique
Date de sortie : novembre 2025
Europa Universalis V
Jouabilité - 8.2
Graphismes - 8
Histoire - 6.5
Musique/Audio - 7.8
Ambiance - 8.5
7.8
BON
Europa Universalis V n’aligne pas une liste de scénarios à cocher ; il propose un modèle-monde où les conséquences de vos choix résonnent des décennies plus tard. Sa population structurée en strates, sa diplomatie « mémoire » et une guerre centrée sur la logistique se combinent pour offrir une profondeur rare. Malgré une intégration lente et quelques faux pas de l’IA, c’est une expérience monumentale qui récompense généreusement la patience — idéale pour celles et ceux qui aiment démêler des systèmes complexes.








