CRITIQUE DE SÉRIE — La petite ville la plus sombre de Stephen King rouvre une fois de plus de vieilles plaies : Ça : Bienvenue à Derry ne se contente pas de faire revenir Grippe-Sou, elle met aussi à nu la cruauté ordinaire qui nourrit le monstre depuis des décennies. Derrière la vitrine clinquante de l’Amérique des années 1960 bouillonnent violences conjugales, préjugés et traumatismes refoulés, tandis que l’angoisse de la Guerre froide en rajoute une couche. En préquelle, la série approfondit le mythe de Ça tout en tendant un miroir impitoyable à la « normalité » de Derry. Et elle le fait dans le respect de l’héritage de l’œuvre — tout en poussant l’univers vers des directions glaciales et inédites.
Depuis des générations, les livres de Stephen King alimentent les cauchemars des lecteurs, mais le roman de 1986 Ça — et sa terreur centrale, Grippe-Sou — dominent le lot. Depuis ce clown, une odeur de pourriture semble vibrer derrière chaque sourire ; la vraie force de King n’est pas dans les sursauts surnaturels, mais dans la mise à nu des réflexes sombres de la nature humaine. C’est ainsi qu’il s’est imposé en maître de l’horreur — et que Ça figure parmi ses sommets : ce n’est pas seulement la menace surnaturelle de Grippe-Sou qui glace, c’est aussi tout ce que les habitants refoulent chaque jour sous le tapis.
Une vitrine « normale », une violence tue
Ça : Bienvenue à Derry, place au centre de la violence invisible du quotidien : les coups derrière les portes closes, les traumatismes hérités et étouffés, et le déni qui ne fait que renforcer l’exclusion. La nouvelle série de HBO affronte ces réalités avec plus d’audace et d’inventivité que les deux adaptations cinéma — à ne pas manquer lors de sa première, dimanche 26 octobre.
Préquelle liée aux cartons d’Andy Muschietti — Ça et Ça : Chapitre 2 —, la série réaffirme la règle : une entité ancienne, « Ça », se réveille à peu près tous les vingt-huit ans pour festoyer sur les habitants de Derry (Maine). Le « Club des Ratés », bande d’ados marginalisés, doit l’affronter enfants puis adultes. Et « Ça » préfère toujours arborer le visage de Grippe-Sou (Bill Skarsgård de retour) — un clown de cirque victorien dont le sourire semble taillé à la lame.
1962 — Les cendres du Black Spot
La série remonte le temps vers d’anciens « cycles », en se concentrant d’abord sur 1962. Les amateurs du multivers de King seront ravis de voir le récit se brancher sur une figure clé de Shining. Dans le roman, Dick Hallorann a contribué à faire vivre le bar de Derry baptisé Black Spot, créé pour les soldats noirs ; lors d’une précédente furie de Grippe-Sou, une foule raciste l’a réduit en cendres. La « shine » de Hallorann a sauvé une poignée de survivants — dont le jeune Will Hanlon, futur père de Mike, l’un des « Ratés ».
La série met en place ce drame : Chris Chalk incarne le jeune Dick Hallorann, et Jovan Adepo campe Leroy Hanlon. Au plus fort de la Guerre froide, tous deux servent à Derry sous l’uniforme américain. La peur nucléaire est dans l’air — les écoles organisent des exercices « duck and cover », et le général James Remar s’inquiète de la proximité du Maine avec la Russie par le pôle Nord. Mais la véritable menace se cache à vue d’œil : « Ça ».
Dès l’épisode d’ouverture, Leroy Hanlon confie sa joie d’être affecté à Derry : il pourrait enfin offrir une vie « normale » à son épouse, Charlotte (Taylour Paige), et à leur fils, Will (Blake Cameron James). Or la carte postale façon Norman Rockwell se déforme aussitôt — et pas seulement à cause de Grippe-Sou. La brutalité remonte du quotidien : on martyrise les enfants sans scrupules, y compris chez eux. Derry est peut-être « normal », mais sûrement pas bienveillant — terrain de chasse idéal pour le clown.
Nouveaux Ratés, nouveaux cauchemars
Les showrunners Jason Fuchs et Brad Caleb Kane torturent la nouvelle génération de « Ratés » avec des procédés futés, ancrés dans l’époque. Grippe-Sou étend désormais son emprise bien au-delà des égouts, lacérant les nerfs par des visions qui rejouent les angoisses de l’ère, le deuil et les traumatismes générationnels. Parce que King détaille peu ce cycle de Derry dans le roman, la série reste imprévisible dans le meilleur sens : même les gardiens du lore ressentent l’exaltante paralysie du « je ne sais pas ce qui arrive ».
Dans le ton, c’est implacable et intime ; dans la forme, un mosaïque qui réordonne motifs et lieux familiers chez King, tout en préparant subtilement la voie aux films de Muschietti.
Vivement la suite !
Après les cinq épisodes projetés à la presse par HBO, difficile de ne pas en vouloir davantage. L’univers est riche, les jeunes premiers sont immédiatement familiers et attachants, les adultes restent insondables — et la mise en scène rassemble l’ensemble avec intention et imagination. La série développe l’univers de manière bien plus solide et inventive que ce qu’Andy Muschietti et sa collaboratrice (et sœur), Barbara Muschietti, avaient réussi à pleinement exploiter dans Ça : Chapitre 2 — ni artistiquement, ni critiquement, ni financièrement — après l’explosion culturelle du premier film.
-Herpai Gergely BadSector-
Ça : Bienvenue à Derry
Direction - 8.6
Acteurs - 8.5
Histoire - 8.8
Visuels / Ambiance horrifique - 9.1
Ambiance - 8.4
8.7
EXCELLENT
Ça : Bienvenue à Derry dissèque comment l’indifférence et les préjugés d’une petite ville nourrissent la terreur surnaturelle de Grippe-Sou. La trame située en 1962 fait aussi le lien avec l’univers de Shining tout en jetant une nouvelle génération de « Ratés » dans la mêlée. Plus implacable et plus intime dans le ton, plus consciemment mosaïque dans sa construction, la série comble de manière prometteuse l’arrière-plan des films de Muschietti.