À la frontière du continent – Là où la raison s’égare

CRITIQUE DE SÉRIE – Après l’atmosphère glaciale et oppressante de True Detective : Night Country, la nouvelle série d’Apple TV+, À la frontière du continent, plonge tête baissée dans le chaos. Là où la précédente murmurait, celle-ci hurle ; là où régnait le mystère, on trouve désormais des explosions numériques et une frénésie d’action. Résultat : un divertissement aussi absurde que réjouissant, une tempête de neige où l’excès devient presque un art.

 

True Detective : Night Country avait démontré que les ténèbres de l’Alaska pouvaient servir d’écrin à une introspection humaine d’une rare intensité. Issa López et Jodie Foster y avaient façonné un univers glacial mais profondément habité, où la lumière semblait s’être éteinte pour mieux révéler les âmes. À la frontière du continent reprend le même décor, mais en inverse radicalement le ton : ici, point de drame métaphysique, mais une débauche d’action et de bruit. Imaginez Fargo percutant The Blacklist, le tout orchestré par un Michael Bay sous amphétamines : voilà l’esprit du projet, pleinement assumé.

Créée par Jon Bokenkamp (The Blacklist) et le scénariste Richard D’Ovidio, la série affiche d’emblée ses ambitions : un crash d’avion spectaculaire — presque cartoonesque — libère une horde de criminels dans la toundra d’Alaska. Au cœur du désastre, le marshal Frank Remnick (Jason Clarke), revenu à Fairbanks après un passé douloureux à Chicago, tente tant bien que mal de rétablir l’ordre. La série fonctionne lorsqu’elle revendique ses origines télévisuelles : un criminel par épisode, un fusil à la main et des tonnes de neige à perte de vue. Un format de série policière « à l’ancienne », dépoussiéré par une production luxueuse, qui évoque autant la nostalgie que le délire.

 

 

Jeux d’espions sous la neige

 

Le récit perd toutefois de sa vigueur dès l’arrivée de Sidney Scofield (Haley Bennett), agente de la CIA, qui entraîne l’intrigue dans un labyrinthe d’espionnage inutilement complexe. Parmi les évadés figure Havlock, un agent renégat présenté comme un monstre enchaîné et cagoulé. Sam Hargrave — cascadeur devenu réalisateur — incarne un prisonnier halluciné qu’on croit être Havlock, jusqu’à la révélation : le vrai traître est Levi Hartman (Dominic Cooper), ancien protégé de Sidney, qui enlève Sarah (Simone Kessell), l’épouse de Frank. Sur le papier, la tension dramatique est palpable. À l’écran, tout se dissout dans un marécage de jargon technologique, de pirates russes et de théories du complot, transformant le suspense en un long diaporama PowerPoint.

Le personnage de Sidney prend trop de place et, au lieu de servir de contrepoint au pragmatisme de Frank, finit par occuper toute la lumière. Haley Bennett, trop lisse, peine à convaincre en espionne aguerrie, et sa relation avec Dominic Cooper manque cruellement de crédibilité. Même les excellents Alfre Woodard et John Slattery, cantonnés à leurs bureaux de Langley, semblent sous-employés. La mi-saison s’enlise dans des dialogues bureaucratiques et des intrigues stériles où la tension disparaît au profit d’une succession d’explications pesantes.

 

 

Neige, folie et explosions

 

Heureusement, À la frontière du continent se rappelle à temps qu’elle est faite pour divertir. À chaque moment d’ennui surgit une scène d’action extravagante : poursuites en motoneige, fusillades en hélicoptère, camions suspendus au-dessus du vide — un Mission: Impossible revu à la sauce parodique. Frank et ses adjoints affrontent des escrocs charmeurs, des médecins déments et même des criminels en slip hurlant dans la tempête. À ce stade, la série assume son côté « pulp » et en tire un charme inattendu. Les traumatismes du héros et ses déboires conjugaux ne sont plus des faiblesses, mais des ornements kitsch. Même le générique, joyeusement décalé, semble cligner de l’œil au spectateur, conscient de l’absurdité du tout.

Mais au fil des dix épisodes, la série s’enlise dans son propre jeu d’espions. Les tempêtes de neige laissent place aux intrigues bureaucratiques, et l’énergie initiale s’évapore. Le passé de Sidney — fille d’un agent légendaire de la CIA, digne représentante du népotisme d’État — n’apporte qu’une lourdeur supplémentaire. À la fin, on ne regarde plus pour le suspense, mais par curiosité morbide : reverra-t-on enfin la neige, la folie et l’action débridée du début ? À la frontière du continent finit par symboliser sa propre limite : celle de la patience du spectateur.

-Gergely Herpai « BadSector »

 

À la frontière du continent

Direction - 5.2
Actors - 5.2
Histoire - 4.8
Visuels/Musique/Sons - 5.5
Ambiance - 5.2

5.2

MOYEN

À la frontière du continent oscille entre la parodie et l’hommage aux séries d’action d’antan. Quand elle assume sa folie, elle devient un plaisir coupable ; quand elle tente de se donner des airs sérieux, tout se fige — jusqu’à la logique elle-même.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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