TEST – Depuis des décennies, la saga Silent Hill nous glace le sang sous toutes ses formes, mais ses horreurs ont presque toujours puisé leurs racines dans un monde occidental moderne. Avec Neobards aux commandes, la série ose casser les codes : ce tout premier épisode inédit depuis 2012 déplace le cauchemar vers une autre époque et une autre culture. Le Japon des années 1960 offre un terrain idéal pour cette renaissance, tout en restant fidèle à l’ADN de la franchise — et n’hésite pas à aborder des thèmes aussi lourds que dérangeants tels que les violences, l’addiction ou la discrimination de genre.
Nous faisons la connaissance de Hiniko, une lycéenne ordinaire qui se réveille un matin dans la ville fictive d’Ebisugaoka pour découvrir que tout le monde a disparu — il ne reste qu’elle et quelques camarades. Mais ce petit groupe est loin d’être soudé : les mêmes filles qui passent du temps avec elle la méprisent dans son dos. Seul Shu, son amour d’enfance, reste à ses côtés — et c’est peut-être justement ce qui attise la jalousie des autres. Les drames adolescents deviennent rapidement insignifiants lorsque le village est envahi par des excroissances rouges et des tentacules grouillants. Une silhouette monstrueuse émerge du brouillard, et Hiniko n’a même pas le temps de comprendre ce qu’elle voit. Les longues séquences cinématographiques — y compris l’ouverture suffocante — distillent une tension viscérale, mêlant l’ambiance brutale de l’horreur japonaise à l’atmosphère oppressante propre à Silent Hill.
Désarmée face à l’horreur
Le jeu ne fait aucun cadeau : les monstres vous traquent avant même que vous ne soyez capable de vous défendre. Hiniko se retrouve dans une situation de vulnérabilité totale — sa seule option est de courir et d’esquiver. Cela laisse à la tension le temps de s’installer profondément avant de pouvoir saisir l’arme de fortune emblématique de la série : le tuyau en métal. Silent Hill f rompt avec la tradition en supprimant les armes à feu, imposant des combats brutaux au corps-à-corps. Les armes improvisées — tuyaux, couteaux, haches ou battes de baseball — se brisent avec le temps. Oui, un système de durabilité façon Breath of the Wild fait son apparition ici, et il fonctionne étonnamment bien dans ce contexte cauchemardesque. Une fois, j’avais parfaitement étourdi une créature — le moment idéal pour l’achever — quand mon arme s’est brisée et qu’Hiniko a lancé : « Oh non, pas maintenant ! » C’est exactement ce que je ressentais. Des kits de réparation existent, mais ils sont rares, et il est souvent plus efficace d’espérer trouver une nouvelle arme.
Les créatures de Silent Hill f mélangent avec brio les éléments macabres du folklore japonais et les abominations nées du traumatisme qui définissent la série. Vous croiserez des marionnettes difformes aux articulations multiples se contorsionnant de façon inhumaine tout en fonçant sur vous, lame à la main. Ailleurs, des amalgames de poupées de bébé ou des colosses recouverts de chair et de fleurs, armés de couteaux gigantesques, barrent votre route. L’excellente conception sonore — remplie de bruits organiques répugnants et d’éclats statiques — rend chaque affrontement mémorable. Tous les combats se déroulent au corps-à-corps, ce qui vous oblige à approcher de très près. Au début, un flash rouge signale les fenêtres de contre-attaque, mais elles deviennent de plus en plus rares. Comme dans de nombreux jeux d’action modernes, Hiniko peut effectuer des attaques légères et lourdes, voire charger un coup pour infliger des dégâts massifs. Tout cela est lié à une jauge d’endurance, qui se régénère grâce à des esquives bien synchronisées ou à l’usage d’objets.
Corps à corps – sang, sueur et rage
Fidèle aux traditions du survival horror, le jeu propose des ressources disséminées dans l’environnement, mais jamais en quantité suffisante pour se sentir en sécurité. C’est d’autant plus frustrant que le système de combat, un peu rigide et lent, peine souvent à procurer de réelles sensations d’impact. Plus d’une fois, j’ai déclenché un énorme coup de masse parfaitement synchronisé, pour voir Hiniko frapper le sol à côté de la cible. D’autres fois, elle refusait tout simplement d’attaquer. Si les animations sont somptueuses, elles deviennent un handicap lors des affrontements : leur lenteur laisse largement le temps aux ennemis de riposter, souvent en l’assommant complètement. Résultat : j’ai souvent préféré éviter les combats. Les monstres abandonnent la poursuite si vous sortez de leur champ de vision, retournant à leur position initiale — un mécanisme qui rend les confrontations plus irritantes qu’effrayantes. Trop souvent, je savais d’avance qu’un combat se solderait par la perte d’un précieux objet de soin.
Tous les objets ramassés ne servent pas à se soigner. Aux sanctuaires Hokora, qui font aussi office de points de sauvegarde, vous pouvez faire des offrandes pour renforcer votre foi. Celle-ci permet d’obtenir des bonus passifs aléatoires, appelés Omamori, dont un seul peut être activé par défaut. La foi permet également d’accéder à des améliorations ciblées. Pour cela, il vous faudra des Ema — de petites plaques votives en bois —, ce qui signifie que vous ne pouvez pas progresser indéfiniment comme dans un RPG : il faut choisir entre plus de santé, plus d’endurance, une meilleure résistance mentale ou un emplacement d’Omamori supplémentaire. Mon expérience ne différait sans doute pas beaucoup de celle des autres joueurs : j’ai d’abord privilégié l’endurance pour améliorer mes attaques, avant de réaliser à quel point la santé et la résistance mentale étaient cruciales.
Entre esprit et folie
Silent Hill f garde son interface minimaliste, consciente que sa plus grande force réside dans l’exploration — les icônes n’apparaissent que lorsqu’elles sont nécessaires. Au-dessus des jauges de santé et d’endurance, une couronne de fleurs indique l’état mental d’Hiniko — son équilibre psychique. Celui-ci diminue lorsqu’elle subit des événements traumatisants ou certaines attaques ennemies. Un boss particulièrement terrifiant en début de partie illustre bien ce système : en plus de ses attaques physiques, sa simple présence draine l’esprit d’Hiniko. Si sa résilience mentale tombe à zéro, les attaques psychiques infligent des dégâts physiques et l’endurance fond à vue d’œil. Il est donc crucial d’adopter une position stratégique, de saisir chaque opportunité et d’utiliser des objets comme la Ramune (boisson gazeuse locale) ou l’eau bénite. En dehors des combats, ce système reste discret — j’aurais aimé que le jeu explore plus en profondeur les conséquences psychologiques de l’effondrement mental.
Le parcours d’Hiniko est tout sauf simple. En plus de survivre dans un monde de plus en plus corrompu et envahi par une végétation écarlate, elle explore également un royaume spirituel. Là, un homme masqué de renard lui prête main-forte, bien que tout semble l’avertir de se méfier. Cette dualité fonctionne à merveille : d’un côté, Hiniko prend son destin en main pour sauver ses amis ; de l’autre, elle tombe peu à peu sous l’influence de cet étrange personnage — avec des conséquences désastreuses. Ces moments ne sont pas seulement choquants : ils sont profondément perturbants. Le body horror est si intense que certaines scènes m’ont hanté longtemps après avoir posé la manette — sans pour autant me décourager de continuer.
Les environnements qu’Hiniko explore sont riches et variés : école abandonnée, sanctuaires spirituels, maison d’enfance traversant différentes époques… Mais la véritable vedette reste le village lui-même — ses rues et ses forêts voisines étouffées sous les plantes rouges et les créatures difformes. La carte se met à jour dynamiquement, comme dans Silent Hill 2, avec des barricades et des notes mystérieuses. La difficulté des énigmes peut être réglée indépendamment des combats, et il vaut mieux l’augmenter : certaines sont de véritables pépites. Vous devrez décoder des expressions pour ouvrir un coffre, repérer des indices pour trouver une clé, faire pivoter des symboles ou utiliser des blasons familiaux comme clés. Le jeu excelle à créer un faux sentiment de sécurité pour mieux le briser ensuite. Et avec plusieurs fins possibles, la rejouabilité devient particulièrement tentante — si tant est que vous parveniez à surmonter le traumatisme.
Une renaissance audacieuse et terrifiante
Le décor japonais de Silent Hill f n’a rien à voir avec la ville emblématique que nous connaissons. Hiniko est une héroïne forte et complexe, dont l’histoire bouleversante m’a autant ému que troublé. Alors que son village s’effondre sous le poids du mal, elle-même traverse une transformation profonde. Les abominations qui la traquent sont à la fois grotesques et — grâce à leur animation et leur design impressionnants — réellement effrayantes. Les combats, en revanche, se montrent souvent maladroits et frustrants. Pourtant, rien de tout cela ne remet en cause le fait que Silent Hill f est une évolution audacieuse de la franchise — et qu’il atteint pleinement ses ambitions en tant que jeu d’horreur.
-Gergely Herpai “BadSector”-
Pro :
+ Atmosphère envoûtante et tension permanente
+ Univers parfaitement construit et narration captivante
+ Énigmes créatives et symbolisme fort
Contre :
– Combats maladroits et frustrants
– Quelques problèmes d’équilibrage de la difficulté
– Le système mental n’exploite pas tout son potentiel
Développeur : Neobards Entertainment
Éditeur : Konami
Genre : Survival Horror
Date de sortie : 25 septembre 2025
Silent Hill f
Jouabilité - 7.6
Graphismes - 8.6
Histoire - 8.2
Musique/Audio - 8.1
Ambiance - 8.4
8.2
EXCELLENT
Silent Hill f ouvre un nouveau chapitre audacieux dans l’histoire de la franchise, tout en restant fidèle à ses racines les plus sombres. La lutte d’Hiniko dans un monde en décomposition est à la fois émouvante et terrifiante, tandis que le cadre japonais insuffle une fraîcheur et une nouvelle énergie à la série. Malgré un système de combat perfectible, son scénario, son atmosphère et l’intensité de son body horror en font une expérience inoubliable — qui continuera de vous hanter bien après le générique de fin. Notes :