Si chaque monstre te fait instantanément penser à Dark Souls, tu n’es pas le seul : c’est la marque d’une obsession esthétique de Miyazaki. Le célèbre directeur de FromSoftware veille à ce que chaque design porte un principe de pureté et de dignité. Cette règle mystérieuse ne consiste pas simplement à fuir le grotesque : chaque créature, lieu et histoire du jeu dissimule un passé tragique ou une légende déchue. Les secrets des coulisses révèlent qu’aucun monstre – si effrayant ou défiguré soit-il – n’est privé de cette touche artistique.
Si tu as déjà joué à un Dark Souls, tu as forcément croisé toutes sortes de monstres de dark fantasy : morts-vivants, bêtes griffues, guerriers mutilés ou faméliques. Mais il faut savoir que Miyazaki considère comme une obsession créative le fait de rendre chaque personnage digne, quoi qu’il arrive.
En 2012, le Japon a vu sortir le livre d’art Dark Souls Design Works (plus tard édité en Occident par Udon ; il y a un tome pour chaque jeu, et deux pour Elden Ring). Ces livres contiennent des interviews de Miyazaki et d’autres membres du studio, dont un passage entier sur la notion de dignité.
« Peu de gens me croient, mais il est crucial pour moi d’apporter une forme de raffinement, d’élégance et de dignité à chaque design », expliquait Hidetaka Miyazaki à propos de ses habitudes de création. « Je dis souvent aux artistes que je ne laisserai passer aucun travail expressément grotesque ou viscéral. C’est une question de goût personnel, et j’applique cette règle à tous les concepts que je valide. »
Il reconnaît que ce principe est difficile à exprimer, et invite les lecteurs à feuilleter les innombrables concepts du livre pour le constater eux-mêmes. Masanori Waragai, vétéran du studio, raconte une anecdote frappante.
Même Molinete (Pinwheel), l’un des boss les plus pathétiques, possède sa dignité : il traîne les cadavres de sa famille dans un chagrin et une culpabilité infinis. « Je me souviens d’avoir dessiné le dragon mort-vivant, et j’ai envoyé un croquis où le dragon grouillait de vers et de pourriture. Miyazaki me l’a renvoyé en disant : “Ce n’est pas digne. N’utilise pas la saleté pour représenter le dragon mort-vivant. Pourquoi ne pas montrer plutôt la plainte d’une créature magnifique condamnée à la ruine ?” »
Miyazaki reste cependant suffisamment flexible pour adapter ses obsessions aux besoins de ses univers : certaines zones, comme la Flooded City, restent volontairement brutes et grotesques, même si la tristesse et le froid caractéristique de ses mondes restent palpables.
Une obsession qui va bien au-delà de Dark Souls
Je pense qu’au fil du temps, tout joueur de Dark Souls finit par absorber cette esthétique sans même la décortiquer. Si l’on fait une petite rétrospective, on trouve des créatures, des personnages secondaires, des histoires ou des décors où FromSoftware évoque d’anciennes gloires déchues et tombées dans l’oubli.
On se plaint souvent de Patches dans Dark Souls, mais FromSoftware vous laisse piéger un PNJ de façon si vile que le jeu vous le reproche.
Je pense à Gwyn, à Artorias, à toute la cité d’Anor Londo : partout, la même histoire de légendes déchues, de héros autrefois grandioses, frappés par la malédiction. Et ce n’est pas propre au premier épisode.
Dans Elden Ring, même Hewg, le forgeron enchaîné et couvert de coquillages, conserve sa fierté et sa dignité. Cette subtilité contribue sans doute à l’aura unique de Dark Souls et à sa place dans la pop culture.
Enfin, la manière de transmettre tout cela est essentielle : ici, pas de cinématiques explicatives. C’est au joueur de reconstituer le puzzle, de relier les indices pour ressentir tout le poids du récit et de cet univers.
Source : 3djuegos