Selon les créateurs de Deus Ex, ils n’avaient aucunement l’intention de transmettre un message politique avec ce qui est devenu l’un des jeux les plus politisés de tous les temps. « Ce que je pense être le bon avenir pour l’humanité n’a aucune importance. Tout dépend de ce que chaque joueur pense », explique le directeur du projet, Warren Spector.
Deus Ex a été le premier jeu à me faire comprendre que les jeux vidéo pouvaient aborder des sujets profonds. Je me souviens encore de la discussion entre deux soldats de la NSF sur Liberty Island, débattant du fait que les humains sont réduits à des numéros de version et à leur utilité. Pour un gamin qui n’avait connu que Rayman ou Quake 2, c’était une révélation.
Avec le temps, je constate que, même si Deus Ex reste un chef-d’œuvre, sa vision politique est franchement incohérente. Vos alliés principaux ? La NSF, un groupe de miliciens quasi survivalistes typiques du Midwest américain. Leurs compagnons ? La Silhouette, sorte de clone de l’Internationale situationniste française, avec le numéro de série limé.
Association improbable, surtout avec les milliardaires en arrière-plan qui agissent comme des seigneurs Sith : parfois alliés, parfois ennemis, toujours guidés par leur intérêt propre. Là-dessus, le jeu reste très réaliste.
Warren Spector, chef de projet de Deus Ex, aime rappeler qu’il n’a pas fait le jeu tout seul et qu’il profite du 25e anniversaire pour revenir sur le développement. Dans une interview à PC Gamer, les développeurs racontent qu’ils ne pensaient même pas à la politique. « À l’époque, j’avais la vingtaine, je ne réfléchissais pas à ce niveau-là », se souvient Ricardo Bare (devenu ensuite lead designer de Dishonored). « Je voulais juste faire un jeu qui mélange tir et RPG, deux genres que j’adore. »
Spector, lui, réfléchissait à la politique, mais ne voulait surtout pas imposer sa vision. « Si vous voulez faire passer un message, écrivez un livre ou réalisez un film », dit-il à PCG. « Ce que je pensais n’a aucune importance dans Deus Ex. Ce que je crois être le meilleur futur pour l’humanité n’a aucun intérêt. Tout dépend de la vision du joueur. »
Il ne voulait pas « dicter l’état du monde, mais que le joueur agisse et voie le résultat de ses propres choix » : d’où les nombreuses alternatives et les trois fins différentes, où l’on peut confier la planète à l’IA Helios, plonger le monde dans une nouvelle ère sombre, ou remettre le pouvoir à l’Illuminati (dans Invisible War, la suite, tous ces choix sont finalement mélangés).
Je comprends l’intention de Spector, mais est-il vraiment possible – ou même souhaitable – de séparer la vision du créateur de son œuvre ? L’idéologie d’une équipe de développement finit toujours par s’imprimer dans les mondes qu’elle construit et les choix qu’elle offre. Deus Ex, malgré le radicalisme de ses factions, est au fond un jeu plutôt libéral. Sa philosophie centrale est résumée par la célèbre phrase de JC Denton : « Quand la justice ne fonctionne plus, nous vivons vraiment dans un monde de terreur. » Mais apparemment, ce n’était pas le but de Spector…
Source : PC Gamer