CRITIQUE DE SÉRIE – Si Apple TV+ s’est d’abord fait un nom avec ses grandes fresques historiques, la plateforme s’impose désormais comme un refuge incontournable pour les amateurs de science-fiction ambitieuse. Que vous soyez néophyte ou mordu de mondes complexes, Apple TV+ a de quoi combler tous les publics. Après des titres comme Severance, For All Mankind et Foundation, voici enfin une comédie SF aussi mordante qu’intelligente : Murderbot.
Créée par Chris Weitz et Paul Weitz, adaptée de la saga The Murderbot Diaries de Martha Wells, cette nouveauté Apple TV+ bouscule la recette habituelle : on y trouve un antihéros irrésistiblement pince-sans-rire, des seconds rôles hauts en couleur, et des épisodes rythmés de 30 minutes (tous les dix épisodes étaient disponibles pour la presse) qui reprennent le ton et la vivacité des novellas originales. Murderbot ne traîne jamais en longueur — au contraire, la série est si réjouissante qu’on en redemande, tant ce SecUnit grognon et attachant fait mouche à chaque scène.
Dès la première scène, Murderbot nous plonge littéralement dans la conscience de son personnage principal. Le centre du récit : un SecUnit, robot de sécurité campé par Alexander Skarsgård, qui s’est affranchi en piratant son propre système. Après avoir désactivé le module d’obéissance qui l’oblige à suivre tous les ordres humains, il se choisit un nom : Murderbot.
Privé de son module de contrôle, Murderbot pourrait théoriquement se retourner contre ses clients et prendre la fuite, mais ce n’est pas son truc. Son rêve : rester tranquille pour enchaîner les 7 532 heures (et ce n’est qu’un début) de séries téléchargées dans sa mémoire. Son obsession ? The Rise and Fall of Sanctuary Moon, un soap-opéra spatial à la sauce Star Trek, fictivement interprété par John Cho, Clark Gregg, DeWanda Wise et Jack McBrayer.
Ironiquement, Murderbot est bien moins porté sur le meurtre que sur le binge-watching… du moins jusqu’au jour où il est chargé de protéger une équipe de scientifiques de PreservationAux, menée par Dr. Mensah (Noma Dumezweni), sur une planète extraterrestre périlleuse. Initialement indifférent à l’espèce humaine, Murderbot se voit contraint d’agir suite à une attaque alien. Mais son comportement étrange attire vite l’attention, notamment celle de Dr. Gurathin (David Dastmalchian), scientifique augmenté qui enquête sur sa programmation. Peu à peu, malgré lui, Murderbot se rapproche de ses clients : leurs émotions, leurs attachements, leur façon de décider en groupe commencent à influencer le cyborg. Même ce misanthrope mécanisé doit admettre qu’il n’est peut-être pas aussi hermétique à ces humains que ce qu’il prétend.
Un antihéros robotique : attachant malgré lui ?
Le succès de Murderbot repose essentiellement sur la force de son personnage principal. Difficile d’adhérer si l’on n’est pas convaincu par ce robot, d’abord quasi misanthrope, qui évolue lentement vers un peu plus d’empathie. Skarsgård réussit pourtant à incarner d’emblée un SecUnit ambigu, drôle et surprenant. La novella All Systems Red nous plongeait entièrement dans la tête de Murderbot ; la série s’en inspire avec une voix off omniprésente, apportant à la fois contexte et humour. On n’a jamais à se demander ce que pense le robot : ses pensées, parfois hilarantes, sont toujours dites tout haut.
L’autre force de cette adaptation : le jeu physique tout en retenue de Skarsgård, capable d’exprimer des nuances par un simple regard (lorsque le casque tombe) ou une posture à la fois raide et humaine. Au départ, l’immobilité presque rigide de Murderbot amuse, mais au fil des interactions humaines, des gestes plus naturels émergent. Le personnage affiche d’ailleurs certains traits autistiques : il déteste qu’on le touche, le dit sans détour, et le contact visuel est pour lui un véritable supplice. Ces particularités le rendent paradoxalement plus humain, surtout à mesure que les scientifiques s’adaptent à ses limites. Skarsgård livre une prestation précise et sensible : il fait rire autant qu’il peut bouleverser en un instant.
Liens humains et psyché cyborg en mission spatiale
Une limite de All Systems Red tenait à son point de vue unique : tout passait par Murderbot, les personnages secondaires restaient distants. L’adaptation Apple TV+ accorde d’emblée plus d’espace à la galerie de scientifiques. L’équipe de PreservationAux est resserrée par rapport au livre (certains rôles fusionnés), mais la dynamique de groupe devient rapidement un atout. C’est Murderbot qui commente, non sans ironie, les tensions sentimentales : Pin-Lee (Sabrina Wu) et Arada (Tattiawna Jones) sont mariées et envisagent peut-être une nouvelle venue, Ratthi (Akshay Khanna) est souvent dans la lune, Bharadwaj (Tamara Podemski) passe son temps à soigner les blessés.
Chacun joue un rôle-clé dans la mission, mais Mensah s’impose comme la leader et le cœur émotionnel du groupe, superbement incarnée par Dumezweni, à la fois autoritaire et bienveillante. Sa relation avec Murderbot devient peu à peu le centre émotionnel de la série, notamment quand ils se retrouvent dans des situations vulnérables. Une scène forte voit Murderbot se réfugier dans les rediffusions de Sanctuary Moon pour s’apaiser, tissant un lien profond avec Mensah — même si le cyborg préférerait éviter tout attachement.
Gurathin, l’éternel sceptique – et la victoire de l’adaptation
Dumezweni n’est pas la seule à briller : Dastmalchian s’impose dans le rôle de Gurathin, scientifique suspicieux et rival initial de Murderbot. Leurs confrontations apportent de la tension, mais la série développe intelligemment Gurathin, qui passe d’adversaire à allié réticent. Tous les personnages n’ont pas droit à autant de profondeur — le rôle d’Anna Konkle, par exemple, est si bref et chargé de spoilers qu’elle disparaît presque aussitôt apparue.
Côté adaptation, Murderbot s’impose comme l’une des grandes réussites de l’année, et même comme une référence dans le catalogue SF d’Apple TV+. Cela tient à la performance nuancée de Skarsgård, à la complicité du casting (notamment Dumezweni et Dastmalchian), et à un équilibre parfait entre humour grinçant et enjeux dramatiques. Avec tant de romans à adapter dans The Murderbot Diaries, on espère que ce cyborg grognon et attendrissant reviendra encore longtemps — même si Murderbot détesterait l’idée qu’on le regarde autant.
-Gergely Herpai “BadSector”-
Murderbot
Direction - 8.2
Acteurs - 8.4
Histoire - 8.6
Visuels/Musique/Sons/Action - 7.6
Ambiance - 8.5
8.3
EXCELLENT
Murderbot s’impose comme l’une des meilleures séries SF d’Apple TV+, grâce à son humour, à sa profondeur émotionnelle et à ses acteurs impeccables. Le rôle principal de Skarsgård, les seconds rôles solides et l’équilibre moderne de l’adaptation en font une série incontournable pour tous les amateurs du genre. Et avec tant de matière dans la saga originale, il serait dommage que notre cyborg préféré ne reste que pour une saison.