TEST – « Et si j’avais fait d’autres choix ? » Voilà une question qui m’obsède depuis toujours, un refrain qui revient sans cesse. Pas de sauvegardes ou de checkpoints dans la vraie vie, pas de bouton magique pour revenir en arrière et corriger le tir. Chaque décision compte, et il faut assumer les conséquences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises : c’est le prix à payer pour le libre arbitre. J’ai testé The Alters sur Xbox Series X grâce au Game Pass, et ce jeu mélange la philosophie, la gestion et la science-fiction avec un panache qui laisse pantois.
Toutes mes décisions m’ont amené à cet instant précis, celui où je m’adresse à vous. Si je n’avais pas rejoint la team 576 Kbyte à 17 ans, si je n’avais pas choisi la filière communication à l’ELTE, si je n’étais pas passé par PC Zed en 1998 ou par GameStar en 2001, ou encore si je n’avais pas lancé theGeek (anciennement PS4Pro.eu) en 2014… Je n’écrirais pas ces lignes. Peut-être serais-je prof de français, journaliste « grand public » sur un site généraliste, ou même « PDG » quelque part en France – allez savoir ?
Dans notre réalité, rien de tout ça ne s’est produit. Mais ailleurs ? Si je pouvais croiser ces autres « moi », est-ce que je les reconnaîtrais ? Est-ce que je pourrais collaborer avec eux si ma vie en dépendait ? C’est le genre de questionnements existentiels qui ont inspiré The Alters, le jeu de gestion narrative du studio polonais 11 bit, qui pousse la réflexion sur la théorie du chaos à un niveau qui aurait fait applaudir Andy Weir et Stanisław Lem.
Tout le monde est mort, il ne reste que vous
Le coup du « seul survivant sur une planète inconnue », on l’a déjà vu décliné à toutes les sauces – romans, films, jeux vidéo. Perso, j’ai un faible pour Seul sur Mars (le roman), adapté par Ridley Scott sous le titre Seul sur Mars (vf : Seul sur Mars). Mais la comparaison s’arrête là : The Alters nous met dans la peau de Jan Dolski, un type normal, sans super-pouvoir, ni don particulier. Son passé, c’est un mix de choix ratés et de petites réussites, et aujourd’hui il doit récolter du Rapidium pour le projet Dolly. Quand tout semble perdu, il découvre une échappatoire… mais il va falloir dépasser toutes les limites de l’éthique et de la raison.
Jan ne fabrique pas de simples clones. Il crée des versions alternatives de lui-même, des « alters » qui, à un moment clé de leur vie, ont pris une direction différente et sont devenus quelqu’un d’autre. S’il a aidé un inconnu enfant, il croise la route d’un médecin et s’engage dans la science. S’il tient tête à son père, il devient un vrai touche-à-tout. S’il persévère dans la recherche, il finit chercheur reconnu. Chaque alter est un « et si… » incarné.
Un clone, mille versions – le génie de The Alters
Le tour de force de The Alters ? Mélanger théorie du chaos et univers parallèles pour offrir une expérience vraiment originale et stimulante, pleine de questions philosophiques. Jan façonne ses alters à son image, presque en démiurge. Mais si ces « doubles » apparaissent aujourd’hui, leurs souvenirs sont-ils factices ? Ont-ils été créés juste pour aider le héros ? Leurs sentiments ont-ils la moindre valeur ? Quid de leurs liens avec leurs proches restés sur Terre ?
Toutes ces interrogations traversent des dialogues ciselés, souvent bien plus profonds qu’ils n’en ont l’air. Les alters démarrent comme des archétypes, mais au fil de l’aventure, chacun gagne en nuance – même les plus réfractaires au changement.
Gestion, survie, émotions : tout est lié
Au-delà de la philosophie, le joueur – capitaine du vaisseau – se retrouve sans cesse confronté à des choix cruciaux qui influencent non seulement le récit, mais aussi la façon dont les alters le perçoivent. Dans ce genre de jeu narratif à gestion, les conversations dépassent le simple cadre de la relation : c’est la motivation et la loyauté de l’équipage qui se jouent ici.
Pour être honnête, je ne suis pas un maniaque du jeu de gestion, et connaissant la réputation de 11 bit studios, je n’ai pas osé attaquer la difficulté maximale – ça a peut-être rendu mes relations avec les alters plus fluides. Mais même comme ça, deux ruptures majeures m’ont secoué : une à mi-parcours après une grosse décision scénaristique, l’autre en toute fin, alors que tout manque et que la pression monte. Même en facile, on sent que les développeurs auraient pu corser encore plus l’affaire.
Chasser les ressources, courir après le temps – vos deux pires ennemis
La gestion des ressources est un casse-tête en soi : métaux, minéraux, rapidium… il faut explorer la carte, installer des bases d’extraction, les relier à la base et organiser vos alters pour bosser. Tout – cuisine, fabrication, extension de la base – dépend de ces matériaux. Bonne nouvelle : on peut assigner à chaque alter une tâche quotidienne, et ils proposent d’eux-mêmes la suivante. Pendant qu’on réfléchit à la stratégie ou qu’on part en exploration, le jeu fait (enfin) oublier le micromanagement lourd.
Le temps, le vrai boss final
La plus grande menace, ce n’est pas les aliens : c’est l’horloge. Chaque journée dure 24 heures en jeu (une minute IRL par heure). Il faut dormir pour sauvegarder, donc on dispose d’environ 15 minutes effectives par jour pour récolter, discuter, explorer et, si possible, se tirer. Dans l’histoire, le temps est encore plus impitoyable : quand le soleil se lève, une vague de radiation pulvérise tout. Autrement dit : il faut avancer au plus vite, toujours sous la menace d’un game over imprévisible. Cette tension permanente colle parfaitement à l’ambiance.
Pas une minute de répit – la progression, c’est le chaos
Le jeu se divise en trois actes, avec une montée en puissance continue : nouveaux équipements, alters supplémentaires, besoins en ressources qui explosent, moral à gérer, équipage à occuper… C’est le fameux mème IRL : « Pas une minute de répit dans ce b*rdel ! » Explorer devient à la fois plus simple et plus retors : bases automatisées, ascensions facilitées, nouvelles ressources, mais aussi apparition d’anomalies – des entités invisibles aux pouvoirs variés qui viennent tout chambouler. Elles ne tuent pas, mais changent la dynamique du jeu.
Le plus chronophage pour moi, c’était la construction de la base. Imaginez le Tetris de la mallette dans Resident Evil 4, mais version gestion SF : chaque module doit s’intégrer parfaitement dans l’espace réduit. Chaque ajout coûte cher, mais débloque des bonus. Sur mes 18 heures de jeu, au moins 4 sont parties à tout organiser façon maniaque. Est-ce que les dortoirs devaient absolument être côte à côte ? Non, mais dans ma tête, c’était logique – OCD de gamer.
De nouveaux éléments viennent régulièrement casser la monotonie, mais sans révolutionner le gameplay. Pour les hardcore gamers, c’est le pied ; pour moi, un peu plus de variété aurait été parfait, sans casser la dynamique.
Polyvalent mais jamais maître en rien – ou l’équipe de rêve ?
En fait, The Alters n’est ni un pur jeu d’aventure, ni un vrai city builder, ni un simple jeu narratif : son vrai talent, c’est de mêler les trois à la perfection. Le jeu n’essaie pas d’être le meilleur partout, mais fonctionne justement grâce à la complémentarité des genres – tout comme son message.
C’est ce qui rend l’immersion et l’effet de surprise aussi puissants. J’ai adoré plonger dans ce récit SF original, qui n’aurait pu exister qu’en jeu vidéo : chaque sous-intrigue, chaque rebondissement vécu en temps réel… c’est unique.
Côté graphismes, The Alters impressionne, mais façon « tu vas crever ici », pas « carte postale ». Le décor alien est aussi sublime qu’oppressant, un croisement entre Mars et vos pires cauchemars d’enfance. Tempêtes magnétiques, failles temporelles – tout est magnifique, mais terrifiant. À l’intérieur de la base, c’est l’indus sombre, des terminaux partout, et des dramas sociaux à la pelle. Sound design ? Magistral. Doublage ? Exceptionnel : un seul acteur prête sa voix à tous les alters, et pourtant on y croit à fond. Musique ? Elle oscille entre zen et tension mortelle en deux secondes.
Faut-il s’y lancer… ou laisser son Alter s’en charger ?
The Alters sort vraiment du lot : il réunit le meilleur de plusieurs genres pour proposer une odyssée SF à la fois dense et introspective. Le genre d’histoire que seuls les plus grands auteurs auraient pu imaginer, mais qui ne prend tout son sens que manette en main, dans la peau de Jan Dolski. La gestion est parfois stressante, et quelques bugs techniques cassent l’immersion (surtout sur la fin), mais pour les fans de SF ou ceux qui aiment sortir des sentiers battus, c’est incontournable.
Ce jeu est étrange, bouleversant, parfois hilarant, souvent déchirant : il oblige à se questionner sur ses propres choix et sur ce qu’impliquerait de cohabiter avec d’autres versions de soi-même. Survivre ou « cogner des arbres » (clin d’œil à Ken), on s’en fiche : l’essentiel, c’est l’identité, le regret, la lutte contre son pire « moi »… littéralement. C’est un peu comme si RimWorld et Black Mirror avaient eu un enfant qui vous reproche vos ratés du lycée. Pour moi, c’est le meilleur jeu des 11 bit studios à ce jour. Faut-il le recommander ? Sans hésiter ! Mais évitez-le si vous êtes déjà en crise existentielle… Ou pas. Après tout, je ne suis pas votre Alter.
-Gergely Herpai “BadSector”-
Points forts :
+ Récit SF captivant et original
+ Dialogues et personnages excellents
+ Système de gestion et d’exploration intelligent
Points faibles :
– Ralentissements fréquents sur PC
– Construction de base trop complexe, parfois répétitive
– Bugs de traduction et plantages ponctuels
Développeur : 11 bit studios
Éditeur : 11 bit studios
Genre : gestion narrative SF, survie
Date de sortie : 13 juin 2025
Gergely Herpai « BadSector »
The Alters
Jouabilité - 8.3
Graphismes - 8.7
Histoire - 9
Musique/audio - 8.6
Ambiance - 8.8
8.7
EXCELLENT
The Alters ose aborder les plus grandes questions de la science-fiction, et son ambiance unique pousse vraiment à la réflexion. Malgré quelques problèmes techniques, le jeu offre une expérience mémorable et marquante – un vrai défi pour ceux qui n’ont pas peur de se confronter à eux-mêmes. Un régal pour les gamers, mais réservé à ceux qui supportent les vraies questions existentielles.