CRITIQUE CINÉMA – Avec Wake Up Dead Man : une histoire à couteaux tirés, Rian Johnson livre l’épisode le plus sombre et le plus frontal de la saga consacrée à Benoît Blanc. Le film dépasse le simple jeu de piste policier pour s’aventurer sur un terrain ouvertement politique et moral, où la satire s’efface peu à peu au profit d’un regard inquiet sur les mécanismes du pouvoir. Une œuvre qui ne cherche plus seulement à divertir, mais à déranger.
Depuis ses débuts, la série imaginée par Rian Johnson n’a jamais prétendu se tenir à distance de son époque. Chaque film s’est construit en dialogue direct avec le climat social et culturel du moment. Le premier À couteaux tirés disséquait une famille riche gangrenée par le cynisme, tandis que Glass Onion s’attaquait à l’arrogance des élites technologiques et à leur fascination pour leur propre génie supposé. Wake Up Dead Man : une histoire à couteaux tirés va plus loin encore, en assumant pleinement une dimension politique qui en fait le chapitre le plus clivant de la trilogie.
Foi, pouvoir et emprise
Aucune figure politique contemporaine n’est explicitement citée, mais le film observe avec précision les ressorts de l’autorité charismatique et de la manipulation collective. Johnson s’intéresse à la manière dont la peur et la colère peuvent être instrumentalisées pour produire de l’adhésion. Le cadre religieux sert ici de point d’entrée narratif, sans que le film ne verse dans une critique simpliste de la foi. Bien au contraire, Wake Up Dead Man se révèle étonnamment spirituel, distinguant clairement la croyance intime de ceux qui la transforment en outil de domination.
Ce choix thématique imprime au film une gravité inédite. L’humour, toujours présent, se fait plus sec, plus discret, loin des excès quasi burlesques de Glass Onion. Johnson délaisse en partie la galerie de suspects excentriques au profit d’une tension plus sourde, presque oppressante. Benoît Blanc, incarné par Daniel Craig avec son accent traînant devenu signature, reste une figure centrale, mais il agit davantage comme révélateur que comme moteur principal de l’intrigue.
Un nouveau personnage au centre du récit
Malgré un ensemble de personnages nombreux, le film choisit de concentrer son regard sur une nouvelle figure, celle du révérend Jud Duplenticy. Josh O’Connor lui prête une fragilité et une humanité qui contrastent avec l’environnement hostile dans lequel évolue le personnage. Là où les précédents volets proposaient un véritable duo aux côtés de Blanc, ce troisième film fait de Jud le véritable point d’ancrage émotionnel du récit, reléguant le détective à un rôle plus tardif et plus indirect.
Ancien boxeur marqué par un événement traumatique, Jud est envoyé dans une petite ville du nord de l’État de New York, où il se heurte rapidement à l’autorité du monseigneur Jefferson Wicks. Josh Brolin compose un personnage glaçant, dont la bienveillance affichée masque mal une volonté de contrôle absolu. Une séquence presque muette, montrant des fidèles quitter l’église sous le poids d’un sermon invisible, résume à elle seule la violence symbolique exercée par ce pouvoir spirituel dévoyé.
Autour de Jud gravite une galerie de personnages incarnés par Glenn Close, Jeremy Renner, Kerry Washington, Andrew Scott, Cailee Spaeny ou encore Daryl McCormack. Tous apportent une nuance particulière à cet écosystème moralement instable, même si certains demeurent volontairement en retrait, comme esquissés plutôt que développés.
Un ensemble riche, mais inégalement exploité
Le casting réuni est impressionnant, mais le film ne donne pas à chacun l’espace nécessaire pour s’imposer pleinement. Glenn Close et Josh Brolin dominent nettement l’ensemble, la première offrant quelques-uns des moments les plus marquants du film. Cette focalisation n’entrave pas totalement la narration, tant O’Connor s’impose comme un protagoniste attachant, mais elle laisse planer le sentiment d’un potentiel partiellement inexploité.
Lorsque le récit bascule enfin dans l’enquête criminelle proprement dite, avec un meurtre aux contours volontairement ambigus, Benoît Blanc revient au premier plan. Détective agnostique confronté à un univers saturé de croyances et de certitudes, il devient le point de friction entre raison et foi. Daniel Craig semble toujours aussi à l’aise dans ce rôle, et son interaction avec O’Connor apporte une dynamique bienvenue à la seconde moitié du film.
Une mécanique connue, une portée plus lourde
Certains retournements se laissent deviner avant leur révélation, et l’intrigue n’échappe pas toujours aux conventions du genre. Pourtant, l’intérêt du film réside moins dans la surprise que dans la manière dont il déploie ses thèmes. Johnson maîtrise son dispositif, multipliant les détails visuels et les silences signifiants, et installe une atmosphère dense, presque étouffante.
La mise en scène joue subtilement avec la lumière, les ombres et les variations climatiques pour accompagner les états émotionnels des personnages. Cette approche confère au film une ambiance feutrée, presque intime, à rebours des décors éclatants et ensoleillés de Glass Onion.
Reste la question de la réception. En refusant de nommer explicitement ses cibles, Johnson laisse au spectateur le soin d’établir les parallèles. Certains regretteront sans doute cette incursion marquée dans le champ politique, d’autres y verront la continuité logique d’une saga qui n’a jamais cessé de dialoguer avec son temps. Le message, lui, demeure limpide : la foi n’est pas en soi un danger, mais elle le devient lorsqu’elle est instrumentalisée.
-Herpai Gergely « BadSector »-
Wake Up Dead Man : une histoire à couteaux tirés
Direction - 7.1
Acteurs - 7.8
Histoire - 6.7
Visuels/Musique/Sons - 7.3
Ambiance - 7.2
7.2
BON
Wake Up Dead Man : une histoire à couteaux tirés s’impose comme le volet le plus grave et le plus explicitement politique de la trilogie Benoît Blanc. Moins attaché au simple jeu de l’énigme qu’à l’analyse des tensions sociales, le film privilégie l’atmosphère et les personnages. Rian Johnson y signe une œuvre inconfortable, mais cohérente et profondément ancrée dans son époque.






