CRITIQUE DE SÉRIE – Avec It: Welcome to Derry, HBO ne se contente pas de revenir à l’univers imaginé par Stephen King : la série en propose une relecture plus sombre, plus clinique, presque historique. Conçue par Andy et Barbara Muschietti avec Jason Fuchs, cette plongée dans les origines du mal privilégie l’analyse psychologique et sociale aux effets de choc. Bien que située dans l’Amérique du début des années 1960, elle dialogue sans détour avec nos angoisses contemporaines.
Inspirée du roman Ça publié en 1986, la série s’inscrit comme un prélude aux adaptations cinématographiques sorties en 2017 et 2019. Mais loin de chercher à expliquer mécaniquement la naissance de Pennywise, It: Welcome to Derry s’intéresse avant tout au terreau qui rend son existence possible. Le mal n’y surgit pas soudainement : il se diffuse lentement, nourri par les silences collectifs, les habitudes sociales et les angles morts d’une communauté.
La scène d’ouverture donne le ton avec une sobriété glaçante. En janvier 1962, dans une ville ensevelie sous la neige, un garçon de douze ans tente de fuir Derry après avoir été rejeté à la fois par un cinéma et par un foyer violent. Lorsqu’un couple apparemment bienveillant lui propose de l’aide, la situation bascule. Le piège se referme sans fracas, laissant place à une peur d’autant plus profonde qu’elle semble inévitable.
Derry, une mécanique de l’aveuglement
Quelques mois plus tard, le major de l’US Air Force Leroy Hanlon est affecté à Derry. Officiellement, il s’agit d’une mutation ordinaire. Dans les faits, la ville révèle rapidement une organisation fondée sur l’exclusion et la dissimulation. Des zones entières sont interdites sans justification claire, empiétant sur des terres autochtones, tandis que certains soldats bénéficient d’un accès privilégié aux plus hauts gradés.
À mesure que Hanlon et son collègue Pauly Russo observent leur nouvel environnement, un constat s’impose : à Derry, les dysfonctionnements ne sont jamais isolés. Le racisme, l’abus de pouvoir et le silence complice forment un système accepté, presque banal. La série installe ainsi une angoisse diffuse, née moins de la violence explicite que de son acceptation tacite.
Quand les enfants refusent de détourner le regard
Au lycée de Derry, le retour de Lilly après un séjour à l’hôpital psychiatrique de Juniper Hill suscite méfiance et rumeurs. En quête désespérée de normalité, elle se heurte à l’hostilité d’un environnement incapable d’empathie. Ronnie, déjà marginalisée, porte quant à elle le poids d’un père accusé d’une disparition que personne ne semble réellement vouloir élucider.
Ce qui rapproche ces adolescents n’est ni l’héroïsme ni le goût du danger, mais l’insatisfaction face aux réponses des adultes. À mesure qu’ils reconstituent les fragments d’un passé trouble, l’enquête glisse vers une expérience qui échappe à toute logique rationnelle. Fidèle à l’esprit de Stephen King, la série rappelle que les enfants perçoivent souvent la vérité bien avant d’être en mesure de la comprendre.
Traumatismes, paranoïa et miroir social
La jeune distribution impressionne par sa justesse. La peur y est brute, parfois confuse, toujours crédible. Le personnage de Lilly se distingue particulièrement, façonné par la perte et animé par une volonté farouche de protéger ses amis d’une douleur qu’elle connaît déjà. Ici, le traumatisme n’est jamais un simple ressort narratif, mais une présence persistante.
Sur fond de guerre froide, It: Welcome to Derry établit des résonances troublantes avec l’époque actuelle. Les communautés noires et autochtones vivent en marge, tandis que les écrans de télévision diffusent des images de répression violente contre les mouvements pour les droits civiques. La série se détourne consciemment des archétypes habituels et refuse l’idée que les groupes marginalisés aient vocation à réparer des systèmes qui les excluent.
Le monstre comme symptôme
Si la perte de l’innocence demeure un thème central, la série élargit considérablement son champ d’analyse. Violences domestiques, racisme institutionnel, traumatismes psychiques, spoliation des terres autochtones et militarisation composent le véritable socle de l’horreur. Pennywise apparaît alors moins comme une cause que comme la conséquence directe de ces dérives collectives.
Au terme de la saison, It: Welcome to Derry s’impose comme un préquel à la fois exigeant et dérangeant. En enrichissant la mythologie sans jamais la simplifier, la série déplace le regard vers ce que la communauté préfère ignorer. La révélation la plus inquiétante n’est pas l’existence d’un monstre, mais la facilité avec laquelle une société lui fait de la place.
-Herpai Gergely « BadSector »-
It: Welcome to Derry
Direction - 9.2
Acteurs - 9.1
Story - 9.2
Image / horreur / musique / design sonore - 9.4
Ambiance - 9.2
9.2
SUPER
It: Welcome to Derry est une série d’horreur à combustion lente, profondément troublante, qui dépasse largement le cadre du simple récit d’origine. Par sa rigueur psychologique et sa lucidité sociale, elle élève durablement l’univers de Ça. Rarement une œuvre tournée vers le passé aura parlé avec autant de justesse du présent.






