TEST – Total Chaos est le genre de survival horror qui, au premier coup d’œil, ressemble à un cauchemar perdu de l’ère PS2 mélangé à un mod de Doom, puis soudain tu te rends compte que tu avances voûté, sac à dos surchargé et nerfs en lambeaux, en titubant dans les couloirs pourris de Fort Oasis. Né comme un mod culte de Doom II, le jeu est devenu un véritable survival horror moderne, où les déplacements à l’ancienne, les combats au corps à corps bien lourds, des mécaniques de survie brutes et un sound design d’une brutalité rare gardent tes nerfs à vif du début à la fin. Ce n’est pas parfait, parfois carrément injuste, mais c’est le bon vieux 8/10 dont il est très difficile de décrocher et encore plus de l’oublier.
L’histoire de développement de Total Chaos en dit déjà long sur ce qui t’attend : au départ, il s’agissait d’un total conversion pour Doom II, considéré pendant des années comme l’un des projets de fans les plus sombres, avant de devenir un jeu autonome édité par Apogee sur PC et consoles. Le scénario se déroule dans les années 70 : tu incarnes une sorte de garde-côte balayé par une tempête jusqu’à l’île abandonnée de Fort Oasis, ancienne colonie minière qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Au milieu des ruines d’usines, de galeries et de barres d’immeubles, quelque chose de très peu naturel s’est mis à pourrir sur place, tandis qu’une voix à la radio te guide – ou te mène en bateau – toujours plus loin vers le cœur de l’île.
Du mod au cauchemar à part entière
L’un des aspects les plus intéressants de Total Chaos, c’est que même si ses racines plongent profondément dans la scène des mods de Doom, le résultat final est étonnamment cohérent et autonome en tant que jeu d’horreur. L’ADN de total conversion est bien là : chaque texture, chaque modèle, chaque monstre et chaque niveau est fait maison, et de Doom II il ne reste finalement que l’esprit, ce feeling de FPS de la fin des années 90/début 2000, à la fois familier et dérangeant. Fort Oasis donne l’impression d’un survival horror d’époque jamais sorti, qu’on aurait ressorti de nulle part, mais habillé de lumières modernes, de brouillard, d’effets de particules et de monstres répugnants qui tiennent encore très bien la route aujourd’hui.
Le jeu est découpé en plusieurs chapitres interconnectés qui t’entraînent lentement vers les entrailles de l’île : au début, tu ne vois que la plage, le port et quelques baraques délabrées, puis la zone industrielle s’ouvre, suivie des puits de mine, des égouts et des forêts obscures. La structure est globalement semi-ouverte : des couloirs étroits débouchent sur de grandes zones que tu revisites, où il faut récupérer des clés, des codes, débloquer des raccourcis, tout en restant à l’écoute du moindre cliquetis ou grognement lointain. L’ensemble ressemble à un jeu d’action-aventure labyrinthique fait à la main, sur lequel on aurait greffé un survival horror.
Un premier run peut facilement durer 15 à 20 heures, surtout si tu fouilles chaque recoin et que ça ne te dérange pas de revenir dans les anciennes zones pour une porte ou un objet fraîchement débloqué. Certains chapitres trouvent un rythme presque parfait, d’autres – notamment les longs segments industriels – mettent un peu plus ta patience à l’épreuve, mais dans l’ensemble, le jeu gère très bien le moment où il faut te laisser respirer et celui où il faut resserrer à nouveau la corde autour de ton cou.
Après le prologue calme, l’enfer se déchaîne
Le début est presque trompeusement paisible : tu dérives dans une petite barque sur une mer déchaînée, en suivant un signal de détresse à la radio, puis tu traverses lentement des structures délabrées sur le rivage. Pendant quelques minutes, tu peux croire à une expérience narrative lente et contemplative, où l’histoire compte plus que l’action. Puis une porte en acier sur le côté s’ouvre, l’obscurité t’avale, et te voilà soudain dans des couloirs rouillés où quelque chose gratte derrière les murs, où une substance visqueuse dégouline du plafond, et où la première créature difforme te saute au visage avec assez de force pour te faire reculer ta chaise dans la vraie vie.
Total Chaos arrache très vite le masque de la “petite balade tranquille” et montre son vrai visage de survival horror musclé. L’île grouille de créatures déformées, couvertes de viande et de lambeaux, des corps tordus bardés de dents et de griffes qui te foncent dessus en hurlant ou te suivent en silence dans le noir, pour n’apparaître qu’au tout dernier moment. L’arsenal suit le mouvement : tuyaux, clés à molette, haches, armes de fortune pour trancher et perforer, puis plus tard armes à feu, cocktails Molotov, pièges et leurs variantes craftées.
À mesure que tu t’enfonces dans Fort Oasis, ton inventaire devient peu à peu ton principal ennemi. La limite de poids est une menace constante : boîtes de conserve, médocs, ferraille, munitions, têtes de hache, bandages s’accumulent dans ton sac, et chaque objet t’oblige à te demander s’il vaut vraiment le malus de mobilité. En plus de ça, la faim, le saignement, l’endurance et la barre de vie te mettent en pression permanente, ce qui fait que le loot n’est jamais une simple routine – la gestion des ressources est aussi stressante que ce qui hurle au prochain coin de couloir.
Des monstres qui te font hésiter avant chaque tournant
L’un des gros points forts de Total Chaos, c’est son bestiaire et la manière dont le jeu l’emploie. Tu rencontres très peu d’ennemis “bouche-trou” : presque chaque type a son entrée, ses règles et sa faiblesse dédiée. Le Splitter, masse lente et charnue dont la gigantesque bouche recouvre la moitié du corps, s’ouvre comme un sac poubelle vivant, et si tu lui balances un marteau ou une brique dedans au bon moment, tu peux le sonner quelques précieuses secondes. Les Brutes sont plus simples : de gros sacs de rage qui titubent sur deux jambes, se faufilent derrière toi en silence, puis se mettent à balancer des déchets et des coups lourds dès qu’ils sont à portée.
Il existe aussi des ennemis pratiquement impossibles à tuer pour de bon, face auxquels il vaut mieux éviter, ralentir ou les piéger en utilisant le décor. Les Glares et les Widows, par exemple, sont construits autour de la ligne de vue et de la lumière, et chaque rencontre avec eux ressemble à une petite scène suffocante à part entière. Le jeu n’aime pas tout expliquer clairement : parfois ce sont des graffitis, parfois un rapide message à l’écran qui te donne un indice, mais la plupart du temps, c’est à toi de comprendre comment survivre à une première rencontre avec un nouveau monstre.
Total Chaos exploite ses créatures de manière à ce que tu ne te sentes jamais vraiment en sécurité. Impossible de savoir si le prochain angle cache un “simple” emmerdeur ou un cauchemar mis en scène avec tellement d’inventivité que tu vas instinctivement arracher ton casque audio. Le jeu évite soigneusement de répéter trois fois la même ficelle – il préfère introduire des menaces nouvelles plus rarement, mais avec beaucoup plus d’impact, et ce serait dommage de spoiler les meilleures.
Quand le sound design te grimpe sur les nerfs
La vraie star de Total Chaos, ce n’est pas le héros muet, c’est le son. Rares sont les jeux d’horreur qui misent à ce point sur l’audio pour te mettre mal à l’aise. L’écho des gouttes dans les égouts, les pas sourds de quelque chose d’énorme derrière les murs, le métal qui râpe, les cris longs et déformés qui ne surgissent qu’occasionnellement – tout est conçu pour que tu n’aies quasiment jamais droit au silence. Même l’électrophone qui sert de point de sauvegarde joue une mélodie usée censée te rassurer, mais il y a dedans quelque chose qui cloche doucement, comme si le disque lui-même se déformait à mesure que tu plonges dans la folie de l’île.
Les rares personnages doublés sont étonnamment convaincants : la “voix amie” à la radio est à la fois rassurante et inquiétante, juste assez ambiguë pour que tu ne sois jamais totalement sûr de ses intentions. Le protagoniste ne parle pas, mais sa respiration, ses gémissements de douleur, ses réactions surprises et les cassettes que tu trouves sur ton chemin lui donnent tout de même une certaine présence. Visuellement, le jeu frappe aussi plus fort qu’on ne l’attendrait d’un projet issu d’un mod : il n’y a ni saut ni échelle à grimper, ce qui renforce l’impression de parcourir un donjon dense, mais le brouillard, les lumières, les textures sales et les environnements rouillés et crades créent une ambiance très tangible et très homogène.
L’horreur dérive progressivement de la simple friche industrielle vers le body horror pur et dur, avec des espaces surréalistes recouverts de chair palpitante. Ce n’est évidemment pas inédit dans le genre, mais l’exécution est solide, et le jeu maintient en permanence l’idée que Fort Oasis ne se contente pas de s’effondrer physiquement : l’endroit implose aussi mentalement, la frontière entre réalité et hallucination devenant de plus en plus mince.
Un jeu qui t’écrase et que tu n’arrives pourtant pas à lâcher
Côté gameplay, Total Chaos aime clairement te malmener, même s’il reste la plupart du temps du bon côté de la cruauté. Les bases du corps à corps sont satisfaisantes : les coups donnent une vraie sensation d’impact, les armes se distinguent bien les unes des autres, et les outils trouvés ou craftés montent en puissance de façon logique. En revanche, les collisions et les déplacements peuvent parfois paraître un peu raides, et on sent par moments l’ossature plus ancienne sous la couche de modernité. Certains combats traînent en longueur jusqu’à devenir frustrants, surtout si une mauvaise gestion d’inventaire te laisse coincé dans un duel compliqué avec la mauvaise arme, peu de soins ou un chargeur vidé.
Au milieu du jeu, l’expérience atteint vraiment son meilleur niveau : placement malin des ennemis, menaces “intouchables” bien rythmées qui t’obligent à jouer au chat et à la souris, zones imbriquées et retours réguliers qui gardent la tension bien haute. Dans les deux derniers chapitres, le rythme se détend un peu, et le jeu commence à recycler davantage les mécaniques que tu connais déjà, mais la qualité globale ne s’effondre jamais. Le mode New Game+ qui faisait la réputation de la version mod n’est pas présent au lancement ici, mais les développeurs promettent un ajout post-sortie qui devrait nettement booster la rejouabilité.
Le récit, lui, s’appuie sans complexe sur les briques classiques du survival horror : culpabilité, passé enfoui, perception incertaine de ce qui est réel ou non, esprit brisé qui tente de se protéger. Si tu as déjà fait beaucoup de jeux du genre, plusieurs twists te paraîtront familiers, et il est facile de lever les yeux au ciel quand les fameux “avions-nous seulement la moindre chance” font surface. Malgré tout, la narration fonctionne, en partie parce que le storytelling environnemental, les notes et les indices visuels sont plus forts que les dialogues explicites. Et juste avant le générique, le thème final sombre et mélancolique signé Akira Yamaoka pose une dernière note parfaitement malsaine sur ce long cauchemar.
-Gergely Herpai “BadSector”-
Pro :
+ Atmosphère ultra oppressante, parfaitement maîtrisée
+ Bestiaire mémorable et level design malin
+ Sound design et bande-son remarquables
Contre :
– Difficulté qui paraît parfois franchement injuste
– Limite de poids et gestion d’inventaire épuisantes
– Histoire de survival horror très classique et bourrée de clichés
Développeur : Trigger Happy Interactive
Éditeur : Apogee Entertainment
Genre : Survival horror, action-aventure à la première personne, structure labyrinthique
Date de sortie : 20 novembre 2025
Total Chaos
Jouabilité - 8.2
Graphismes - 8.1
Histoire - 7.5
Musique/Audio - 9
Ambiance - 8.8
8.3
EXCELLENT
Total Chaos est un survival horror old-school et sans concession, né des racines d’un mod Doom, où le cauchemar pourri et organique de Fort Oasis et un sound design impitoyable te maltraitent autant que les monstres et la limite de poids. Les déplacements un peu rigides, les systèmes volontairement punitifs et les motifs narratifs déjà vus ne plairont pas à tout le monde, mais si tu aimes les expériences dures et exigeantes, c’est une descente mémorable qui vaut largement son 8/10. Ce n’est pas parfait, et c’est justement pour ça que ça marque : plusieurs jours plus tard, tu auras encore l’impression d’entendre quelque chose gratter dans les tuyaux derrière toi.







