Devil in Disguise: John Wayne Gacy Épisodes 1–3 – Une légende dépouillée du mythe du clown

CRITIQUE DE SÉRIE — Le true crime fonctionne vraiment lorsqu’il cesse de polir la légende d’un criminel notoire pour rendre leur place aux vies fauchées. Devil in Disguise: John Wayne Gacy s’y emploie avec constance : la série démonte l’aura accumulée autour de Gacy et montre, très simplement, où la société a détourné le regard et où les institutions ont failli, permettant au « clown tueur » d’agir des années durant. Pas d’effets faciles : l’empathie et les histoires reléguées au second plan structurent le récit, qui trace sereinement les chaînes de responsabilités. Nous avons vu les trois premiers épisodes de cette série glaçante sur SkyShowtime en Hongrie.

 

Il y a sept ans, l’une des grandes réussites de l’anthologie télévisuelle, American Crime Story: The Assassination of Gianni Versace, renversait le point de vue : au lieu de s’attarder sur le crime-titre, elle remontait le fil pour raconter la vie des victimes moins connues d’Andrew Cunanan, redonnant visibilité à celles et ceux effacés par la célébrité. En 2023, la série documentaire d’HBO Last Call: When a Serial Killer Stalked Queer New York aboutissait à un constat voisin : l’homophobie ne déforme pas seulement la mémoire collective, elle infléchit aussi la réponse policière lorsque des hommes gays sont pris pour cibles. La même logique — centrer les victimes — irrigue le drame scandinave The Investigation — qui, dans l’affaire Kim Wall, a délibérément tu le nom de l’auteur — ainsi que les travaux de Liz Garbus sur les meurtres de Gilgo Beach et de l’université de l’Idaho, où l’ancrage narratif demeure du côté des disparus. C’est cette ligne qui sert ici d’ossature au récit de Gacy : plutôt que de hisser le « monstre » sur un piédestal, la série restitue des visages et des trajectoires que la fabrication du mythe a tendance à recouvrir.

Démonter le mythe sans jouer l’esbroufe

 

À première vue, Devil in Disguise: John Wayne Gacy sur SkyShowtime pourrait passer pour un rameau éloigné d’un projet à la Ryan Murphy : l’anthologie de Netflix Dahmer – Monster: The Jeffrey Dahmer Story s’appuyait elle aussi sur la notoriété d’un ogre du Midwest comme tremplin. Mais ici, la trajectoire demeure résolument du côté des victimes, loin de tout sensationnalisme : la série démonte méthodiquement l’archétype du « clown tueur » que Gacy a gravé dans l’imaginaire collectif. Son directeur artistique, Patrick Macmanus (Dr. Death, The Girl from Plainville), contourne délibérément les appâts tabloïd : ni gros plan sur le maquillage, ni meurtres graphiques, ni envolées de prétoire. L’issue est connue — verdict de culpabilité, puis peine capitale —, l’enquête se déplace donc vers les défaillances humaines et institutionnelles qui y ont conduit.

Ici, ce que la caméra choisit de ne pas montrer n’atténue pas la charge : cela l’éclaire. Là où d’autres s’attarderaient sur l’horreur, la série demeure auprès des familles, des lieux ordinaires et des angles morts de l’instruction. Le spectacle cède la place aux conséquences, aux noms, aux responsabilités.

Les disparus, de Rob Piest aux anonymes

 

Le récit s’ouvre sur la disparition de la dernière victime, l’adolescent de la banlieue de Chicago Rob Piest (Ryker Baloun), enlevé sur son lieu de travail tandis que sa mère (Marin Ireland) l’attend dans la voiture. Les inspecteurs Rafael Tovar (Gabriel Luna) et Joe Kozenczak (James Badge Dale) remontent rapidement la piste — en partie parce que l’entrepreneur a dissimulé ses traces avec une désinvolture confondante : plusieurs témoins l’ont vu parler avec Piest et une condamnation antérieure pour sodomie accroît encore les soupçons. Sous pression, Gacy ne se tait plus : il fait entrer la police chez lui et indique quasiment où creuser. La relative facilité de l’arrestation rend d’autant plus insupportable la découverte ultérieure de restes sous la maison et sur la parcelle : si tout était si évident à ce stade, qui a failli — et pourquoi — durant les six années précédentes ?

Titres d’épisodes, construction et retours en arrière martèlent l’individualité des victimes : tel jeune homme qui cherche sa place dans un environnement hostile, tel autre qui survit grâce au travail du sexe, celui que l’on étiquette fauteur de troubles, celui qui veut simplement gagner correctement sa vie. Souvent, on ne les voit même pas à l’écran avec Gacy : la série confie au spectateur le soin de relier les derniers instants calmes à la tragédie qui s’ensuit. Ce ne sont pas des numéros de dossier, mais des existences interrompues, brisées par des portes de clubs qui se referment, des biais policiers et l’absence de bases de données partagées.

Marin Ireland trace un arc éprouvant — panique, colère, puis une acceptation épuisée. Par moments, l’ensemble prend un léger tour didactique — l’aveu tardif de Kozenczak sur ses « angles morts », par exemple — et le rythme épisodique peut sembler se répéter, mais la ligne directrice reste nette.

L’homme sous le maquillage : un gros plan désenivrant

 

Michael Chernus interprète Gacy sans forcer la menace — c’est précisément ce qui glace. Vu dans Severance et Orange Is the New Black, il apporte une énergie modeste, en quête d’approbation, qui colle trop bien à la bonhomie appuyée et aux besoins de reconnaissance de Gacy. L’objectif est limpide : ôter la légende et révéler un homme ordinaire — quoique abject — mû par le jugement paternel, des préjugés intériorisés et une haine de soi persistante.

Entre Gacy et le public se dresse l’avocat de la défense Sam Amirante (Michael Angarano), figure locale dont le dilemme moral — défendre un homme qu’il croit coupable — séduit moins que la somme des vies perdues. Comme ressort dramatique, en revanche, cela fonctionne : l’on approche de près le mensonge compulsif et l’auto-illusion de Gacy sans être enfermé dans sa subjectivité. Amirante offre la proximité sans l’identification.

Malgré quelques cahots, l’intention des créateurs demeure sans ambiguïté : justifier un nouveau regard sur l’une des séries criminelles les plus commentées du XXᵉ siècle et dire quelque chose qui vaille sur les personnes impliquées et les défaillances révélées. Cette clarté — trop souvent absente des déclinaisons les plus voyantes du genre — tient ensemble ces trois premiers épisodes.

-Gergely Herpai « BadSector »-

Devil in Disguise: John Wayne Gacy Épisodes

Direction - 7.2
Acteurs - 8.1
Histoire - 7.6
Musique/Audio - 8.2
Ambiance - 7.5

7.7

BON

Devil in Disguise: John Wayne Gacy maintient résolument le regard sur les victimes, en privilégiant les conséquences et les défaillances institutionnelles plutôt que les détails crus. Son entreprise de démystification, soutenue par l’interprétation retenue de Michael Chernus dans le rôle de Gacy, constitue un contrepoids nécessaire aux traitements sensationnalistes du genre, même si la structure se répète par endroits et prend parfois un tour didactique. Il en résulte une série disciplinée et empathique, qui revient à bon droit sur une affaire surexploitée — et, ce faisant, rend une part de dignité aux vies fauchées.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines - including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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