CRITIQE DE FILM – Scott Derrickson ressuscite le Rôdeur, mais cette suite ne rejoue pas la même partition : située en 1982, l’intrigue avance sur la lisière d’une torpeur glacée, à mi-chemin du rêve et du cauchemar, où la tension se tend, se relâche, puis s’insinue à nouveau. Le tempo volontairement somnambule troque les sursauts faciles contre une inquiétude rampante, tandis que le prédateur masqué d’Ethan Hawke demeure ce totem d’horreur dont le rictus s’imprime sur la rétine bien après le générique.
Le Rôdeur (Ethan Hawke) revient, mais Derrickson ne feuillette plus le même manuel que lors du premier volet (2021) : cette suite penche vers la logique onirique de Freddy – Les Griffes de la nuit, saupoudrée d’un parfum de camp d’hiver à la Vendredi 13. Le film préfère un malaise suspendu aux décharges d’adrénaline ; la tension y ondule, parfois s’affaisse, mais la créature au masque figé reste un centre de gravité si puissant que l’image de ce visage de plâtre continue de flotter devant les yeux à la sortie.
Slasher en apnée sur les rives du lac Alpin
Quatre ans après le premier film – adapté d’une nouvelle de Joe Hill (fils de Stephen King) –, l’adolescent Finney (Mason Thames) a repris la place du regretté Robin en « dur » de la cour d’école, allant jusqu’à rouer de coups un nouveau venu. Sa sœur, Gwen (Madeleine McGraw), n’en est pas rassurée pour autant ; Miguel Mora, qui incarnait autrefois Robin, apparaît ici en Ernesto, son petit frère, tandis que Gwen est hantée par des rêves enneigés où des enfants sont assassinés par un tueur invisible. Ces visions se raccordent à une certaine Hope (Anna Lore), fillette qui, en 1957, lui parle depuis la cabine d’un camp chrétien au bord d’un lac de montagne. En fouillant, Gwen découvre que leur mère y a travaillé autrefois ; à force d’insister, elle convainc Finney de l’accompagner dans ce camp pétrifié par l’hiver, comme moniteurs stagiaires. Leur père, Terrence (Jeremy Davies), sobre depuis trois ans, semble avoir rangé la ceinture.
Grand frère en faction
Finney accepte autant pour veiller sur Gwen que parce qu’il a foi en ses intuitions fulgurantes – et parce qu’il fuit ses propres démons. Les téléphones le poursuivent partout : une sonnerie qui vrille les nerfs, puis cette réplique brève – « Désolé, je ne peux pas t’aider » – avant de raccrocher net. Au bout du fil, des âmes en peine ; Finney n’est pas prêt à répondre. Pour étouffer la peur et la colère, il fume, s’alourdit, se referme – sans empêcher le sourire en coin du Rôdeur de revenir le narguer sous le masque.
Lorsque Gwen, Finney et Ernesto atteignent le lac Alpin, le film a déjà planté sa tente entre ici-bas et l’au-delà. Derrickson filme Gwen en médium happée par des forces invisibles, arpentant un entre-deux liminal capté en Super 8 râpeux et tremblé – sa texture-fétiche dès qu’il s’agit de l’enfance meurtrie. Les rêves de la jeune fille la ramènent invariablement chez le Rôdeur, où le téléphone noir du sous-sol reste un conduit vers les morts – et où plane encore la présence du tueur, en dépit de l’étranglement final que lui infligeait Finney lors du premier affrontement. Arrivés au camp, l’appareil « reprend vie » : le bourreau d’hier susurre à Finney « L’enfer, ce n’est pas le feu, c’est la glace ».
Un camp, version blizzard
La majeure partie du récit se déroule dans ce refuge enneigé, que la tempête transforme en huis clos. Les enfants se retrouvent coincés avec une poignée d’adultes : le propriétaire-directeur, Armando (Demián Bichir), sa nièce Mustang (Arianna Rivas), et deux employés, Kenneth (Graham Abbey) et Barb (Maev Beaty). Cette dernière, vraie dévote, reprend Gwen sans relâche pour sa langue bien pendue et son attitude jugée « impie ». Derrickson et C. Robert Cargill tissent un réseau de motifs religieux – mère pieuse, père sceptique, foi personnelle de Gwen – qui sert surtout de décor. Le Rôdeur, lui, revient en meurtrier d’enfants profané, dont la fréquentation du diable a, semble-t-il, sablé le peu d’humanité qui restait.
Le virage vers le grand froid réussit à la série : le paysage gèle autant les plans qu’il reflète le permafrost émotionnel des personnages. Plutôt que de rejouer l’enlèvement d’enfant, ce chapitre fonce vers l’hallucination. Certes, les « combats contre le monstre dans l’espace du rêve » clin d’œil appuyé à Wes Craven – affleurent çà et là, mais le grain vieilli, presque d’école ancienne, confère à l’ensemble une irréalité singulière. Image-sommet : le Rôdeur qui surgit de la brume en patins, fend la glace d’un lac gelé et fond, hache en main, sur Finney, Gwen et leurs compagnons – même si la photographie nocturne de Pär M. Ekberg se perd parfois dans une obscurité pâteuse.
Le Rôdeur de Hawke : psychopathe, ou simple « psychop’tit » ?
Derrickson n’ose qu’un seul vrai sursaut ; il privilégie une menace en hypnose, diffuse. Le film est à son plus inquiétant chaque fois que l’ombre hilare de Hawke glisse dans le cadre – on aimerait le voir hanter l’écran plus souvent. Le scénario justifie son retour en deux répliques expédiées, mais suffisantes pour en faire un croque-mitaine en règle. Hawke assaisonne chaque ligne d’une cruauté narquoise ; sa tenue, posée, prédatrice, menace autant que ce sourire d’une oreille à l’autre. En faisant rimer plusieurs scènes avec le premier film – flashbacks francs et échos visuels, tel le Rôdeur qui brise la glace au même tempo qu’Armando, miroir de l’entraînement de Finney avec le fantôme de Robin – le long métrage donne à son monstre des allures de revenant perpétuel.
La suite fonctionne ainsi comme une plongée dans l’au-delà autant que comme une thérapie fraternelle masquée : Finney et Gwen cherchent une forme de clôture – soudés par le traumatisme, la colère, le deuil et d’étranges aptitudes – tandis que Derrickson et Cargill posent, mine de rien, les fondations d’épisodes futurs. Qu’il y en ait ou non, la série s’affirme déjà comme un cauchemar singulier, défini par un masque malveillant et un sourire assez coupant pour rayer le sommeil des amateurs d’horreur.
-Gergely Herpai BadSector-
Black Phone 2
Direction - 8.2
Acteurs - 7.4
Histoire - 7.5
Visuels / Ambiance horrifique - 8.2
Ambiance - 7.8
7.8
BON
Derrickson mène Black Phone 2 en slasher de demi-sommeil, confiné dans un camp en congélation, où les chocs secs cèdent la place à une peur qui s’infiltre. Le Rôdeur d’Ethan Hawke demeure un emblème glaciaire : un seul sourire, et le sang se fige. Le film cherche la paix pour Finney et Gwen tout en entrouvrant la porte à un prochain appel.