CRITIQUE DE FILM – Réalisé par Attila Csizmadia et Tamás Yvan Topolánszky, Pays des festivals est une odyssée musicale et nostalgique : quarante années de culture festivalière condensées en une expérience vibrante, entre images d’archives inédites et témoignages emblématiques, pour célébrer l’esprit de liberté.
Regarder Pays des festivals, c’est retrouver immédiatement ce vide familier de « l’après-festival », ce mélange de mélancolie et de désir de prolonger l’été. Le film nous replonge dans les nuits interminables, les campings poussiéreux et les explosions de joie spontanées où la technologie s’efface au profit de l’essentiel : les lumières des scènes, la foule en transe et la communion musicale à ciel ouvert. Csizmadia (réalisateur principal) et Topolánszky (coréalisateur) ont parcouru tout un été les plus grands festivals hongrois, saisissant autant l’éclat des shows que l’intimité des coulisses. Le résultat est un documentaire énergique, au montage précis et au rythme soutenu, qui ne déroule pas un inventaire chronologique mais transmet avant tout une expérience sensible du festival.
Les pionniers et les stars d’aujourd’hui réunis à l’écran
Dès les premières minutes, le spectateur est happé : archives de concerts cultes et interventions de Péter Müller Sziámi – figure emblématique de la scène alternative et père spirituel du Sziget – qui ravive l’étincelle du début des années 1990. C’est ainsi que s’ouvre l’histoire du Diáksziget en 1993, sur un terrain poussiéreux d’Óbuda, devenu peu à peu une marque internationale : le Sziget Festival. Le film retrace ensuite les étapes marquantes de la culture festivalière hongroise : la montée en puissance de Sziget, le VOLT de Sopron, le Művészetek Völgye (la Vallée des Arts) à Kapolcs ou encore le Balaton Sound à Zamárdi. Chacun illustre comment une rébellion créative a pu se transformer en véritable mouvement culturel national.
La partie centrale donne la parole aux bâtisseurs : Károly Gerendai, Norbert Lobenwein, Zoltán Fülöp, István Márta et Péter Müller Sziámi racontent comment une passion pure s’est muée en moteur collectif. Mais les organisateurs ne sont pas les seuls à témoigner : des artistes de différentes générations – András Lovasi, Halott Pénz, Bagossy Brothers Company, Carson Coma, Blahalouisiana, Дeva, Quimby ou Beton.Hofi – évoquent leurs souvenirs mémorables de festival. Bien plus que de simples anecdotes de coulisses, ces récits dessinent ce que signifiait – et signifie encore aujourd’hui – l’expérience festivalière pour les musiciens comme pour le public.
La liberté transmise de génération en génération
Au-delà de la fête, le film ouvre une réflexion plus profonde. La liberté en est le fil conducteur : des années 1990 à aujourd’hui, les festivals sont devenus un symbole d’émancipation personnelle et collective. Les réalisateurs posent la question : que représentait cette liberté pour la jeunesse d’après-communisme, et que signifie-t-elle pour la génération Z ? Pourquoi les jeunes adultes continuent-ils de revenir chaque été, et pourquoi les quadragénaires ou quinquagénaires ne décrochent-ils pas ? Pays des festivals construit un pont entre générations : quand résonnent des images d’archives sur un air de Kaláka ou d’Európa Kiadó, la nostalgie des uns rejoint la curiosité des autres. Parallèlement, les tendances actuelles – domination de la musique électronique, industrialisation des festivals – trouvent leur place. Le film montre comment un idéal hippie s’est transformé en industrie, sans masquer les compromis, et interroge l’héritage transmis aux nouvelles générations. Fidèle au credo « montrer plutôt que dire », le récit alterne archives et images récentes, avec une narration réduite au minimum, laissant les voix et les images parler d’elles-mêmes.
Des manques assumés, une atmosphère irrésistible
Condensé en un seul film, quarante ans d’histoire ne peuvent éviter certaines omissions. Pays des festivals choisit de se concentrer sur les plus grands rendez-vous, sans viser l’exhaustivité. On peut regretter l’absence de festivals comme le VeszprémFest, l’EFOTT ou le Campus, mais dans un format de 90 minutes, le choix était inévitable. Si certains événements importants ne sont évoqués qu’en passant, l’ensemble reste cohérent. Le montage nerveux et la construction narrative solide empêchent toute impression de superficialité. Et à côté des mastodontes, apparaissent aussi quelques éclats alternatifs – l’univers trance d’Ozora, l’atmosphère feutrée du Paloznaki Jazzpiknik, le Bánkitó ou l’intensité sombre du Fekete Zaj – qui rappellent la diversité de la scène et offrent un panorama représentatif.
Là où le film excelle, c’est dans l’atmosphère. Le son des concerts emplit la salle, au point de faire vibrer les fauteuils sur les basses ou les hymnes rock. L’image est tout aussi saisissante : des plans de drone survolent les festivals illuminés la nuit, tandis que des instants plus intimes – une accolade en coulisses, le sourire d’un campeur – valent plus que mille mots. Le montage épouse constamment le rythme de la musique, donnant au spectateur l’impression de « danser » ces 90 minutes. À la fin, on n’a qu’une envie : refaire ses bagages pour un prochain festival – ou revoir immédiatement le film. Pays des festivals tient sa promesse : il restitue l’esprit de liberté, essence de tout festival.
Un héritage et une expérience à partager
Pays des festivals se révèle à la fois un panorama historique et une expérience sensorielle. Csizmadia et Topolánszky en restituent les années d’or comme les défis actuels, avec rigueur et sincérité. La seule frustration tient au fait que le sujet mériterait aisément un deuxième opus – mais ce que l’on voit frôle déjà la réussite totale. C’est un documentaire que l’on voudrait revivre aussitôt terminé. À l’heure où les blockbusters saturent les écrans, Pays des festivals s’impose comme une rareté touchante et intelligente, rappelant combien la musique et la fête collective peuvent unir les générations.
– Gergely Herpai “BadSector” –
Pays des festivals
Direction - 8.3
Intervenants - 8.1
Contenu/Récits - 7.7
Image/Musique - 8
Ambiance - 8.5
8.1
EXCELLENT
Pays des festivals est un documentaire vibrant et nostalgique qui retrace avec force l’évolution de la culture festivalière hongroise. Bien que certains événements secondaires soient moins présents, la réalisation inspirée, la richesse des archives et la sincérité des témoignages en font une expérience cinématographique remarquable. Un rappel puissant de ce qui nous attire toujours vers les festivals : ce sentiment insaisissable de liberté partagée.