TEST – Pour son premier grand projet, Rogue Factor envoie valser le manuel du triple-A et jette par la fenêtre journal de quêtes, carte et flèches d’objectifs. Hell is Us refuse de prendre le joueur par la main et lui confie toute la responsabilité de résoudre ses problèmes. Testé sur PlayStation 5, le constat est clair : malgré un système de combat mollasson et un scénario bancal, les énigmes, l’exploration et la richesse de l’univers offrent une expérience marquante. Un pari risqué mais respectable, qui récompense largement l’attention portée par le joueur.
La plupart des jeux triple-A cherchent à séduire le plus grand public possible, ce qui se traduit souvent par des combats simplifiés, une exploration balisée et des énigmes édulcorées pour que chacun puisse boucler l’histoire. Le résultat ? Des expériences aseptisées où l’on suit un couloir. Hell is Us fait exactement l’inverse. Pas de journal de quêtes, pas de carte, pas de flèches : le jeu mise sur l’intelligence du joueur. Grâce à un level design ingénieux et à des casse-têtes bien pensés, l’aventure mise sur le plaisir de la découverte – même si le combat reste moyen et la narration inégale.
Enfer et guerre civile
On incarne Remi, un soldat qui retourne clandestinement en Hadea, un pays mystérieux coupé du monde. Il cherche à retrouver ses parents et à comprendre pourquoi ils l’ont fait sortir du pays lorsqu’il était enfant. Mais ses souvenirs sont flous et son ignorance totale quant à leur destin actuel. Il doit donc se débrouiller seul dans une nation ravagée par la guerre civile et envahie, sans raison apparente, par des créatures surnaturelles. Un point de départ fort qui installe ce que Hell is Us réussit le mieux : laisser le joueur mener sa propre enquête.
Privé de repères habituels, on est contraint de s’immerger réellement dans les zones semi-ouvertes d’Hadea, et c’est à la fois rafraîchissant et gratifiant. Chaque région regorge de donjons cachés, d’énigmes environnementales et de PNJ désespérés en quête d’aide. Résoudre les mystères ressemble à un vrai travail d’investigation : lettres, reliques, clés égarées et dialogues touffus – dignes des point’n click d’autrefois – servent de fil conducteur.
Qu’il s’agisse de trouver du lait pour un nourrisson affamé ou d’activer la bonne séquence d’interrupteurs cachés, les énigmes restent logiques et amusantes, jamais arbitrairement tordues. Presque chaque découverte compte, même la plus insignifiante, et peut s’avérer être la clé d’un problème à venir. C’est ce sentiment qui rend l’exploration si excitante.
L’ivresse des énigmes
La variété des casse-têtes est l’un des points forts du jeu. Certains utilisent la boussole et les repères visuels pour tracer un chemin. D’autres rappellent directement Zelda : marcher sur des pièges à pointes dans le bon ordre pour verser un sacrifice de sang ouvrant une porte. Quelques mécaniques se répètent, comme ces portes marquées de symboles mystérieux, mais la plupart sont uniques et donnent à chaque lieu sa propre personnalité. Les énigmes mineures alimentent aussi de plus grands mystères, accentuant le sentiment de progression et la motivation à fouiller encore.
Le jeu ne vous tient jamais par la main mais offre un filet de sécurité : des organigrammes simples listant les personnages et objets clés du scénario. Pas besoin de plus, car le joueur reste maître de l’utilisation de ces informations. Seul hic : des menus surchargés et mal filtrés, qui compliquent la recherche d’un indice précis.
Les quêtes secondaires, en revanche, ne bénéficient d’aucun suivi. Le menu confirme juste leur existence ; le reste – lieu, personnage, problème – doit être mémorisé ou noté. Cela peut sembler fastidieux, mais le système valorise l’attention et la mémoire du joueur. Repérer un indice visuel discret et en tirer les bonnes conclusions est au cœur de l’expérience. Hell is Us réussit à rester exigeant sans devenir injuste ni opaque – une ligne de crête que Rogue Factor maîtrise parfaitement.
L’épreuve du retour incessant
Même lorsqu’un objet restait inutilisable sur le moment, il me donnait envie de fouiller chaque recoin. Revenir sur mes pas en valait toujours la peine : un nouvel indice surgissait presque à chaque fois. Mais l’absence d’un système de voyage rapide finit par lasser, surtout après la dixième traversée des mêmes zones. Heureusement, ces détours s’accompagnaient souvent de reliques bourrées de lore, détaillant les fractures culturelles et religieuses d’Hadea. Ces fragments bien écrits font partie des meilleurs moments du jeu.
Heureusement que les énigmes dominent, car le système de combat, lui, peine à passionner. Basique, il se résume vite à spammer la même combinaison de coups jusqu’à ce que les monstres tombent. Le drone de Remi apporte un peu de variété : diversion, impulsion pour étourdir, ou même attaque tournoyante façon scie circulaire. Le système de soin, basé sur un timing proche du « rechargement actif » des shooters, ajoute un peu de tension bienvenue. Mais dès le deuxième acte, le bestiaire s’appauvrit, et les affrontements deviennent répétitifs. À partir d’un certain niveau d’armes, j’ai souvent préféré éviter les combats.
Des monstres réussis, un récit raté
Sur les quatre types d’armes, seules les doubles haches procurent un réel plaisir. On peut en équiper deux à la fois, mais le jeu n’encourage jamais l’expérimentation, laissant les pouvoirs liés aux émotions sous-exploités. Dommage, car ils sont intéressants : la « rage » rouge inflige des dégâts colossaux, la « tristesse » bleue affaiblit l’ennemi par des malus. Certains pouvoirs sont originaux, mais ils n’ont pas l’impact qu’ils méritent. Les monstres, eux, sont impressionnants : des horreurs nacrées, semblables à des sculptures fondues, qui projettent les émotions humaines sous une forme monstrueuse. Leur design évoque les visions troublantes du film *Annihilation* (2018) d’Alex Garland – et c’est un compliment.
L’univers m’a accroché, le scénario beaucoup moins. Remi est un protagoniste fade, dont le caractère sociopathe et dénué d’émotions ne sert qu’à justifier sa vacuité. Son duo avec une journaliste au fort tempérament n’évolue jamais, et le grand méchant, présenté comme central, est expédié sans raison valable. Le jeu démarre fort, brille dans un second acte solide, puis s’effondre dans un dernier tiers précipité, trop centré sur le combat, avec une conclusion plate qui trahit toutes les promesses accumulées.
Hell is Us ressemble à une relecture moderne du jeu d’action-aventure classique, qui, en tant que titre à la troisième personne, se croit obligé d’inclure du combat. Heureusement, l’enquête et l’exploration surpassent largement l’action, qui reste supportable en tant que remplissage. Même après le générique, je pensais encore aux énigmes non résolues et aux mystères restés en suspens. Hell is Us n’est pas parfait, mais c’est un premier essai audacieux et digne de respect, qui pose des bases solides pour de futures histoires dans son univers étrange et fascinant.
-Gergely Herpai “BadSector”
Pro :
+ Exploration libre et énigmes ingénieuses
+ Design de monstres unique et marquant
+ Lore riche et soigné
Contre :
– Combats répétitifs et monotones
– Héros insipide et scénario sous-exploité
– Retour constant pénible à cause de l’absence de voyage rapide
Éditeur : Nacon
Développeur : Rogue Factor
Genre : Action-Aventure
Sortie : 4 septembre 2025
Hell is Us
Jouabilité - 8.4
Graphismes - 7.8
Histoire - 7.6
Musique/Audio - 7.9
Ambiance - 8.2
8
EXCELLENT
Hell is Us rejette avec audace les conventions du triple-A et confie l’exploration et la résolution des énigmes au joueur. Si les combats restent médiocres, l’univers, les puzzles et le lore marquent durablement. Un premier essai ambitieux et recommandable, à découvrir sans hésitation.