Alien: Earth – Le monstre n’est qu’un décor, le vrai cauchemar, c’est nous

CRITIQUE DE SÉRIE – Surprise : dans la nouvelle production ambitieuse de FX, l’élément le moins marquant n’est pas le Xénomorphe, mais bien… l’Alien. Située dans un futur proche où des mégacorporations régentent la planète et où leurs fondateurs poursuivent une obsession morbide pour l’immortalité, Alien: Earth délaisse en partie la créature culte pour explorer un monde plus effrayant encore : le nôtre. Comme avec Fargo, Noah Hawley ne cherche pas à réécrire l’histoire originale, mais à recréer une ambiance, un climat narratif. Cette fois, il amalgame la moiteur horrifique de Ridley Scott et l’imaginaire foisonnant mais chirurgical de James Cameron. Résultat : un récit étrange, déroutant, mais étonnamment convaincant.

 

La première saison n’adopte ni l’opéra cauchemardesque de Scott, ni l’action-horreur survitaminée de Cameron. Mais Hawley s’attaque au même enjeu : affronter l’inconnu, tout en acceptant qu’il restera peut-être à jamais incompréhensible. Alien: Earth trébuche parfois – contrairement à un Fargo plus homogène –, mais réussit malgré tout à élargir l’univers de la saga de manière glaçante et fascinante, loin des couloirs métalliques étriqués auxquels elle s’était jusque-là confinée.

 

 

Un serpent qui ne mord plus

 

La franchise Alien a été usée jusqu’à la corde : des préquelles métaphysiques de Scott (Prometheus, le sombre et splendide Alien: Covenant) aux suites oubliables et dérivés embarrassants comme Alien: Resurrection ou Alien vs. Predator. L’icône terrifiante d’hier est devenue un simple monstre de SF. Oui, David, l’androïde le plus tordu du système solaire, manque cruellement – et voir Scott boucler sa trilogie serait un luxe. Mais le Xénomorphe a été tripoté par plus de réalisateurs gauches qu’un facehugger n’a de doigts, et les dernières tentatives relevaient davantage du « fan service » que d’une véritable mythologie. Encore un vaisseau. Encore un alien. Encore une partie de cache-cache (très sanglante).

Alien: Earth prend place deux ans avant le film originel, mais évite soigneusement les clichés habituels des préquelles. Comme le dit le paradoxe : si quelqu’un hurle dans l’espace sans que personne n’entende, a-t-il vraiment crié ? Peut-être. Mais la série de Hawley ne regarde pas les étoiles. Elle s’ancre sur Terre – un monde encore plus chaotique que notre présent chancelant.

 

 

Cinq mégacorps pour dominer le monde

 

Dès l’épisode inaugural, le décor est planté : plus d’États, seulement cinq empires privés. Threshold, Lynch, Dynamic, Prodigy (la « nouvelle tête », comme on la surnomme) et bien sûr l’inamovible Weyland-Yutani, cette multinationale tentaculaire déjà responsable des malheurs de Ripley. Soixante ans plus tôt, elle avait lancé une mission censée « recueillir des spécimens extraterrestres à des fins d’étude ». Officiellement.

Mais l’expédition tourne à la catastrophe : le USCSS Maginot s’écrase non pas sur un territoire Weyland-Yutani, mais en plein cœur d’une ville contrôlée par Prodigy. L’occasion rêvée pour Boy Kavalier (Samuel Blenkin), fondateur mégalo et stratège cynique, qui applique la règle du « à qui trouve, appartient » et s’empare du vaisseau – et surtout de ce qu’il transporte. Son contenu est presque celui auquel on s’attend… mais pas tout à fait. Comme Fargo avait réinventé Marge Gunderson, Alien: Earth redéfinit son monstre principal. Le Xénomorphe reste l’incarnation de la mort inéluctable – la réponse glaciale de l’univers à notre instinct de survie –, mais il n’est plus seul. Une troupe d’horreurs l’accompagne, toutes programmées pour nous éradiquer. Derrière elles se cachent les véritables antagonistes : un trilliardaire mégalomane, des conseils d’administration invisibles, et une armée de sbires aussi innombrables que malsains. Leurs sévices sur les corps sont écœurants. Leur usage de la souffrance humaine, encore pire.

 

 

Wendy – Pinocchio version Frankenstein

 

Même lorsque l’on peine à identifier quelle créature commettra l’atrocité suivante, la véritable innovation n’est pas un monstre, mais Wendy. Sydney Chandler incarne avec intensité cette enfant dont l’esprit a été transféré dans un corps synthétique adulte. Faible et malade dans sa première vie, elle devient ici un hybride aux pouvoirs démesurés – peut-être immortelle.

Wendy et ses compagnons conservent un esprit d’enfant (Jonathan Ajayi et Adarsh Gourav excellent dans cette cruauté ludique), mais se retrouvent dans des situations d’adultes : comme extraire un bestiaire entier de créatures mortelles d’un vaisseau encastré dans un gratte-ciel. Pendant ce temps, son frère Hermit (Alex Lawther), médecin de l’armée privée de Prodigy, la croit morte depuis longtemps. Imaginez son visage lorsqu’il découvrira la vérité – à condition qu’un alien ne le lui arrache pas avant.

Wendy est le cœur du récit, Hermit notre regard. Son courage, ses doutes et sa curiosité nous guident dans ce monde monstrueux. Question centrale : sauver quelqu’un en transférant son esprit dans un autre corps, est-ce encore le sauver ? La dystopie technocapitaliste ressemble trop à notre présent pour ne pas déranger. Et cela, avant même les attaques des Xénomorphes.

Série exigeante – surtout pour les spectateurs sensibles à la souffrance des enfants –, elle n’en est pas moins ponctuée d’ironie. Timothy Olyphant, en Kirsh, est un successeur réjouissant du David de Fassbender : bras droit de Kavalier, il élève les hybrides et devient le baby-sitter le plus flippant du XXIIe siècle. Et si la saison 2 voit le jour, libérer Kirsh en mode Frankenstein promet de grands moments.

Babou Ceesay campe un Morrow instable et fascinant – un cyborg rescapé du crash. Et Essie Davis (Mister Babadook) en pseudo-mère pour hybrides traumatisés ajoute une dimension perturbante qui captive autant qu’elle met mal à l’aise.

 

 

Le Xénomorphe réduit à un accessoire

 

C’est sur l’atmosphère que Alien: Earth trébuche. La tension se relâche par endroits, certains retournements semblent forcés, et surtout… la créature phare n’effraie plus. Le « parfait organisme » apparaît trop souvent, filmé en ralentis, en plans moyens, dépouillé de son aura. Ses gestes, ses choix, sa simple présence soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses – minant les climax de la saison. Au final, le Xénomorphe devient un figurant. Ce qui, d’un côté, soulage (assez de nostalgie), mais demeure regrettable : bien traité, il aurait pu terrifier encore.

Les rares personnages « positifs », lorsqu’ils ne fuient pas un énième monstre, oscillent entre horreurs passées et cauchemars à venir. Jusqu’où l’humanité peut-elle aller pour survivre ? Et si tout est perdu, peut-on encore parler de survie ? Les héros d’Alien n’ont jamais remporté que quelques respirations de plus. Hermit le comprend à son tour. Pas de sortie. L’extinction est l’horizon logique – pour nous, du moins.

À moins que – hypothèse fragile – les enfants ne nous sauvent. Sinon, il ne restera que deux options : s’adapter… ou disparaître. Et Alien: Earth de poser la question ultime : existe-t-il vraiment une différence ?

-Gergely Herpai „BadSector”-

Alien: Earth

Direction - 8.1
Acteurs - 7.8
Histoire - 7.6
Musique/Audio/Horeur - 9.1
Ambiance - 8.6

8.2

EXCELLENT

Avec Alien: Earth, Noah Hawley revisite la saga sous un angle audacieux, inquiétant et singulièrement original. Hybrides à l’esprit enfantin, monde dominé par les multinationales, body horror viscéral : la franchise mute dans une direction inédite. Le Xénomorphe s’efface, mais l’angoisse reste, palpable, à chaque plan.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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