CRITIQUE DE FILM – Évanouis vous plonge immédiatement dans cette atmosphère inquiétante, presque familière, que seules les nuits en banlieue savent instaurer. Si les films des années 1970 n’avaient de cesse de dépeindre la grande ville comme le théâtre de tous les cauchemars, la réalité est que l’obscurité banlieusarde peut être tout aussi glaçante, dès qu’on y prête attention : une rue déserte, le bruit de vos propres pas, le bourdonnement mécanique des insectes, la lumière bleutée d’un téléviseur derrière un rideau – le frisson est garanti. Zach Cregger capture ce malaise viscéral, mais il va beaucoup plus loin : paranoïa contemporaine, panique parentale et folie collective se mélangent à un humour noir corrosif et des rebondissements grotesques. Quiconque croit que la banlieue est un havre de paix va vite réviser son jugement à la sortie du cinéma Etele.
Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans le silence qui tombe sur la banlieue la nuit. Les grands classiques du cinéma d’horreur des années 1970 prétendaient que l’enfer, c’était la ville, mais tous ceux qui ont déjà arpenté une rue pavillonnaire après minuit savent que l’incertitude pesante s’installe ici aussi. Seul le bruit de vos pas, la stridulation quasi électronique des insectes et, de temps en temps, une lueur télévisuelle derrière un rideau de chambre – il n’en faut pas plus pour sentir un froid dans le dos.
Le Évanouis de Zach Cregger capte ce sentiment à la perfection : dès la séquence d’ouverture, on découvre des enfants qui, à 2h17 du matin, s’éclipsent de chez eux, fantomatiques, pour disparaître dans la nuit – où vont-ils, et pourquoi ? Quand la caméra passe à des images granuleuses de sonnette connectée, la menace devient palpable. Quelque chose cloche profondément ici, et on le sent instantanément.
Avec Évanouis, Cregger – déjà remarqué pour le tortueux et imprévisible Barbarian – livre un film qui explore à fond les angoisses collectives de notre époque, sans jamais sombrer dans le prêchi-prêcha. Dans la banlieue américaine actuelle, tout est gouverné par la méfiance, la peur et la panique nourrie par les fake news ; chacun vit son propre apocalypse intime. Les parents s’époumonent lors des réunions, s’indignent pour des rumeurs et des canulars du Net, juste pour se sentir exister. La paranoïa devient épidémique, et Évanouis tend à cette société un miroir acéré et impitoyable.
Mosaïque de banlieue – enfants disparus, atmosphère oppressante
L’histoire commence fort : tous les élèves d’une classe de primaire – sauf un – s’évaporent littéralement dans la nuit, quelque part à Maybrook. À partir de là, Cregger bâtit sa narration comme une version banlieusarde de Magnolia de Paul Thomas Anderson ou de Pulp Fiction de Tarantino, entremêlant les destins et les points de vue jusqu’à ce que le puzzle se reconstitue. C’est ambitieux, mais Cregger orchestre tout cela avec une aisance déconcertante, et on sent qu’on assiste à quelque chose d’exceptionnel, du début à la fin.
Dès que les enfants disparaissent, tous les parents veulent des réponses – cela ne fait aucun doute. Puisque tous les enfants appartiennent à la même classe, les soupçons retombent sur leur enseignante, Justine Gandy (Julia Garner), gentille mais socialement maladroite, et qui semble avoir un problème avec l’alcool. Mme Gandy est aussi perdue que les parents et se lance alors dans une enquête personnelle. Mais elle n’est pas seule : Archer Graff (Josh Brolin), le père d’un des disparus, est persuadé que Gandy en sait plus qu’elle ne veut bien l’admettre, et mène sa propre investigation. Notre flic local, Paul (Alden Ehrenreich), se retrouve aussi impliqué, ayant un passé ambigu avec Gandy et ses propres secrets à cacher. S’ajoutent à cela un principal compatissant mais tourmenté (Benedict Wong), un junkie désespéré (Austin Abrams) prêt à tout pour sa dose, et Alex Lilly (Cary Christopher), le seul élève à ne pas avoir disparu – une sacrée galerie de personnages.
En dire plus serait ruiner le plaisir – comme pour Barbarian, l’imprévisibilité fait toute la saveur du film. Le scénario de Cregger distille ses indices au compte-gouttes, donnant finalement toutes les réponses, mais à ce stade, on a déjà traversé une avalanche de séquences sombres, tordues et même franchement hilarantes qui laissent le spectateur pantois. L’héritage comique de Cregger transparaît : il marie l’horreur et l’humour avec brio. Évanouis peut vraiment faire peur, mais certaines scènes – en particulier le final – sont si folles qu’on rit franchement. Rarement l’horreur et la comédie fonctionnent avec une telle alchimie : ici, tout s’emboîte parfaitement.
Paranoïa sans jumpscares
Cregger ne cesse de progresser en tant que cinéaste : ici, il maîtrise complètement l’ambiance et la tension. Il évite intelligemment l’abus de jumpscares, préférant exploiter la peur viscérale de l’inconnu – ce sentiment que nous avons tous déjà éprouvé en rentrant chez soi la nuit. Les détails de la vie en banlieue sont criants de vérité : des épiceries, des bars miteux, des pelouses impeccablement entretenues, et toujours cette maison un peu trop sombre, un peu trop calme, un peu trop mystérieuse. L’idylle pavillonnaire ? Un mirage – la sécurité n’est qu’une illusion, et on ne sait jamais ce qui se cache derrière la porte d’entrée d’un voisin.
Ce qui distingue Évanouis, c’est son rapport aux personnages : pas de super-héros ici, seulement des gens faillibles, profondément humains. Justine Gandy, campée par Garner, est attachante mais accumule les décisions douteuses – pas les clichés débiles des héroïnes d’horreur, mais des choix qu’on pourrait soi-même faire dans une telle situation. Le père interprété par Brolin n’a rien du père patient : il est brutal, bourru, parfois insupportable, mais ses motivations touchent toujours juste, et on ne peut s’empêcher de s’attacher à lui, même si on a parfois envie de le secouer.
Les personnages secondaires sont d’un réalisme troublant : le spectateur s’investit pour eux et tremble pour leur sort. Amy Madigan mérite une mention spéciale – elle s’attaque à un rôle complexe et livre une performance remarquable, sans que l’on dévoile pourquoi ici.
Il reste toujours un squelette dans le placard
Ce qui rendait Barbarian génial, c’était justement ce sentiment constant de ne jamais savoir où le film allait nous mener – Évanouis reproduit cette même imprévisibilité. L’essentiel, c’est que Cregger n’a jamais recours à des effets faciles ou au choc pour le choc. Il y a une vraie logique dans cette folie, et même si le dernier acte lève une partie du mystère (ce qui fait perdre un peu de magie), il reste plusieurs énigmes sans réponse – car c’est ça, le vrai frisson de l’horreur : tout n’est pas fait pour être expliqué.
Évanouis mélange avec virtuosité l’atmosphère oppressante et l’humour noir, s’imposant sans peine comme l’un des meilleurs films d’horreur de l’année. Avec ce film, Cregger confirme : il est désormais une voix majeure du genre.
– Gergely Herpai « BadSector » –
Évanouis
Direction - 9.6
Acteurs - 9.2
Histoire/Horreur - 9.2
Visuels/Musique/Sons - 8.8
Ambiance - 9.2
9.2
EXCELLENT
Évanouis est un film d’horreur suburbain, follement divertissant et diaboliquement malin, qui égratigne l’Amérique des lotissements tout en dynamitant les clichés du genre. La fusion que réussit Zach Cregger entre le grotesque et la vraie peur, portée par des personnages plus vrais que nature, vous empêche de décrocher une seule seconde. Passer à côté, c’est rater LE film d’horreur de l’année.