CRITIQUE DE SÉRIE – Conçue par Mark L. Smith (À l’aube de l’Amérique) et Elle Smith, la mini-série en six épisodes Une nature sauvage suit une enquête criminelle au cœur d’un parc national américain emblématique. Dès la scène d’ouverture de la série Netflix, Eric Bana incarne Kyle Turner, arrivant à cheval sur un lieu de crime majeur, visage marqué, barbe bien fournie, posture raide sur fond de paysages de Colombie-Britannique qui se font passer pour le parc national de Yosemite. L’un des gardes forestiers, mêlant sarcasme et respect, appelle Turner “Gary Putain de Cooper”, laissant dès le début peu de doutes sur l’ambition des créateurs Mark L. Smith et Elle Smith de revisiter l’imaginaire western avec un clin d’œil moderne.
Bien que le tournage ait eu lieu quasi exclusivement au Canada et que l’on retrouve un acteur principal australien (et un mentor néo-zélandais), Une nature sauvage tente à tout prix de capturer la nostalgie du western américain, s’adressant ouvertement à ceux qui sont devenus accros à Yellowstone et à ses nombreux spin-off. Netflix présente la série comme une mini-série limitée, mais rien ne la rend vraiment close ou définitive. Ce type de thriller en six épisodes, parfois trop serré, s’adresse autant aux fans de Slow Horses, Reacher ou Les Dossiers oubliés, qu’à ceux qui aiment la structure de True Detective mais qui préfèrent une narration moins philosophique.
Dès les premières minutes, la série frappe fort : deux alpinistes anonymes escaladent El Capitan lorsqu’un cadavre de femme tombe du sommet, manquant de faire chuter tout le monde et provoquant un vrai vertige chez les spectateurs sensibles, même si tout cela repose beaucoup sur des effets spéciaux numériques ou des incrustations.
L’affaire atterrit sur le bureau de Turner. Il est agent spécial à la branche des services d’enquête du Service des parcs nationaux, travaillant dans le parc depuis des décennies après une carrière apparemment brève au FBI. Il n’est pas sûr de lui, mais il pense reconnaître la femme morte, dont le corps est marqué par des signes mystérieux : un tatouage doré en forme de “X” et des blessures ressemblant à une attaque animale. Plusieurs éléments du début ne trouveront pas vraiment de réponse une fois l’histoire terminée, mais probablement que vous les aurez déjà oubliés – et la série s’en accommode sans problème.
Turner possède toutes les compétences d’observation d’un enquêteur génial façon “Prestige TV” et traîne aussi un traumatisme personnel récent – un classique du genre. Sa perspicacité et son manque de tolérance envers la médiocrité génèrent d’emblée des tensions avec Naya (Lily Santiago), garde forestière mère célibataire, tout juste arrivée de Los Angeles et assignée, à contre-cœur, pour aider Turner.
À cause de son passé douloureux et d’un problème d’alcool dont la gravité n’est jamais vraiment tranchée, Turner inquiète en permanence la figure paternelle qu’est Paul Souter (Sam Neill), probablement chef du parc, ainsi que son ex-femme Jill (Rosemarie DeWitt), désormais remariée à Scott (Josh Randall), un homme tellement banal qu’on l’oublie dès qu’il n’est plus à l’écran avec Jill.
Fils du passé et intrigue trop bien ficelée
Par un concours de circonstances étonnant, l’affaire de la femme morte est liée à une affaire de disparition remontant au passé de Turner – à ne pas confondre avec une autre disparition du passé du même Turner, également évoquée au fil de l’histoire. Tout cela débouche sur une résolution bien trop nette, mettant en lumière le fait que la série manque cruellement de personnages pour développer des rebondissements complexes ou surprenants.
Au départ, Une nature sauvage donne l’impression de viser une certaine complexité. Lorsque Turner arrive sur la première scène de crime, un échange d’exposition a lieu au sujet de la juridiction – j’étais prêt à découvrir la hiérarchie entre les gardes, les autorités locales, le surintendant du parc et ce qu’est réellement l’ISB, et à plonger dans les complications spécifiques d’une enquête pour meurtre en territoire protégé.
Dès le début, la série laisse penser qu’elle pourrait s’intéresser aux problèmes de personnel causés par la réduction d’effectifs au sein du National Park Service, après que l’administration actuelle a licencié environ un quart du staff. Je me suis demandé : Une nature sauvage serait-elle la première série à évoquer la crise des licenciements du DOGE ? Allait-elle célébrer la nécessité fondamentale de protéger les parcs nationaux ou les reléguer au rang de gaspillage budgétaire ? En réalité, rien de tout ça.
J’avoue, j’ai un faible pour les polars classiques sur fond de décors inhabituels, et parfois Une nature sauvage sait tirer profit de son faux Yosemite : remplacer le traditionnel bar miteux du genre par un lodge de touristes, ou exploiter l’idée d’un espace naturel si vaste et inexploré que des marginaux peuvent y vivre incognito et que des disparitions deviennent presque banales.
Mais à l’arrivée, la question des juridictions s’évapore, la géographie reste étrangement restreinte et il devient lassant de voir les mêmes deux ou trois panoramas de carte postale défiler. Plutôt que de faire du décor un personnage à part entière, Une nature sauvage fait bien moins avec ce cadre essentiel que d’autres séries comme Joe Pickett (également tournée au Canada sous prétexte du Wyoming).
Opportunités manquées et clichés en série
C’est une série qui débute avec un vrai potentiel thématique mais qui, finalement, se contente de broder autour d’une intrigue classique, ponctuée de trop nombreux clichés. Du passé tragique de Turner – dont la révélation est censée surprendre, donc je reste vague – au personnage de Wilson Bethel, ancien sniper devenu agent de contrôle animalier, jusqu’à la sempiternelle astuce du “visage du défunt pour débloquer son téléphone”, Une nature sauvage préfère systématiquement la facilité à la profondeur.
Pourtant, la série va à toute vitesse : la rapidité du récit doit beaucoup à ces raccourcis, et Bana comme Santiago offrent la paire improbable typique qui fait le sel de ce genre de séries. Bana joue la force tranquille, crédible et mature, sans tomber dans l’excès d’émotions qui aurait fait de Une nature sauvage une étude de personnage au lieu d’un whodunit. Santiago compense avec une fraîcheur et un sarcasme attachant, insufflant à la série une dose d’humour qu’on n’aurait pas soupçonnée à partir des crédits de Mark L. Smith, scénariste de The Revenant et de À l’aube de l’Amérique.
Neill et DeWitt campent des personnages sous-exploités, mais ils apportent de la chaleur chaque fois qu’ils apparaissent, même si le scénario les force parfois dans des situations artificielles, comme lorsque Jill garde l’enfant de Naya sans raison valable. Les seconds rôles (Raoul Max Trujillo, JD Pardo, Alexandra Castillo) donnent un aperçu d’un potentiel d’ensemble, hélas jamais vraiment utilisé.
Arrivé à la fin – grâce à Bana, Santiago, et aussi à la singularité du décor – j’étais encore suffisamment investi pour me dire que la série aurait gagné à avoir un ou deux épisodes de plus. Peut-être que Netflix devrait revoir son étiquette “mini-série”.
– Herpai Gergely « BadSector » –
Une nature sauvage
Direction - 5.4
Acteurs - 6.6
Histoire - 5.2
Visuels/Musique/Sons/Action - 4.4
Ambiance - 5.8
5.5
MOYEN
Une nature sauvage aligne tous les codes du polar western : le début est accrocheur, l’ambiance fonctionne, mais la galerie de personnages et le décor sous-exploité finissent par rendre l’ensemble bien vite oubliable. Bana et Santiago restent le principal intérêt ; pour une vraie surprise, il faudra sans doute attendre une saison deux, ou un showrunner plus audacieux.