CRITIQUE DE FILM – Il y a à peine deux mois, le sang coulait encore dans l’obscurité des salles de cinéma, et voilà que Sinners, la dernière folie de Ryan Coogler, débarque déjà sur HBO Max. Mais oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur les films de vampires : ici, c’est une véritable orgie de blues, une moiteur sudiste façon années 30, des personnages à la Coogler et une audace cinématographique qui ose tout. Le réalisateur retourne tous les codes du genre, puis vous assomme à coups de blues et d’ambiance nocturne brûlante, comme si vous erriez vous-même sur les berges du Mississippi. Alors, son regard lyrique et profondément humain peut-il survivre à un bain de sang pareil ? Je vous promets que vous n’avez jamais vu un film de vampires aussi cru, déjanté et imprégné de blues. À ne pas rater si vous aimez qu’un film pulvérise les clichés et vous bouscule totalement.
Ryan Coogler ne fait jamais les choses à moitié : il a transformé Creed et deux blockbusters Marvel en phénomènes, mais on sentait depuis longtemps qu’il brûlait de tourner un film 100% personnel. Dès Fruitvale Station, il avait prouvé qu’il ne faisait rien comme tout le monde. Ici, il se lâche complètement : Sinners est l’essence même de cette liberté créative, où il mélange les légendes du Sud, les vampires, et il fait mijoter le tout dans le blues, la sensualité, la magie et une pincée de jazz pour relever la sauce.
Nous sommes en 1932, dans une petite ville moite du Mississippi, où deux frères, Smoke et Stack (tous deux interprétés par Michael B. Jordan grâce à un incroyable tour de passe-passe numérique), rentrent chez eux après sept ans à Chicago. Les rumeurs les précèdent : on les craint, on les admire, les légendes locales les lient à Capone et à la pègre. Deux anti-héros du Sud, bien décidés à ouvrir un « juke joint » où la bière irlandaise coule à flots, le poisson-chat frit s’arrache, et où le blues fait oublier tous les malheurs. Stack, le plus fougueux, enrôle le fils du pasteur, Sammy, comme musicien attitré, tandis que Smoke renoue avec les durs locaux et sa femme versée dans le hoodoo, toujours endeuillée par la perte de leur fille Annie (Wunmi Mosaku).
Le club sort de terre en une seule journée – le rêve américain version blues et sueur. Le soir venu, toute la ville danse, l’ambiance est électrique, la bière est fraîche et la musique brûlante… mais l’histoire ne fait que commencer. Trois vampires, menés par Remmick (Jack O’Connell), se pointent et n’attendent qu’une invitation pour entrer. Et là, tout s’emballe : il suffit qu’un proche soit mordu pour que la fête tourne au carnage, et la piste de danse se transforme en champ de bataille. Blues, sang, hurlements, et absurde sudiste, tout explose à l’écran, et le chaos devient roi.
Du blues plutôt que du sang – et bien plus encore
Une chose est sûre : Sinners est le film le plus beau visuellement de Coogler, et pas seulement selon les standards Marvel. On ressent la chaleur moite, les champs de coton, le poids étouffant de la nuit sudiste. L’ombre de l’ère Jim Crow plane en permanence, mais c’est le blues, l’énergie collective, la famille, le deuil, et les fautes impardonnables qui s’imposent au cœur du récit. Même si les vampires sont parfois trop caricaturaux, les scènes de club font battre le cœur – tout est si vivant qu’on en oublierait presque qu’on regarde un film d’horreur… jusqu’à ce que le sang commence à couler sur la piste. La voix de Miles Caton est l’âme du film, et le spectateur se laisse emporter avant que tout n’explose.
Les séquences musicales sont inoubliables : pas aussi folles que l’ouverture de Babylon, mais assez sauvages pour marquer les esprits. Coogler n’a pas peur d’en faire des tonnes : Michael B. Jordan s’éclate dans ses deux rôles, entre voyou charmeur et héros brisé. Le récit balance sans cesse entre drame familial, pamphlet social, horreur et grotesque sudiste – parfois tout à la fois. Sinners est un vrai cocktail de genres, et étonnamment, ça fonctionne.
Côté horreur, ça ne prend pas toujours : souvent, c’est l’ambiance qui prime plus que la peur pure. Les vampires sont parfois même un peu ridicules – surtout après le Nosferatu de Robert Eggers – mais Coogler s’intéresse clairement plus aux personnages complexes qu’aux monstres sans âme. Les fêlures des deux frères, la dualité de la communauté, les deuils refoulés sont bien plus fascinants que la simple boucherie. Ici, le blues, les liens familiaux et la rage de vivre sont les vraies armes – et là-dessus, Coogler excelle.
Quand les vampires deviennent des figurants
On entend souvent que le cinéma d’horreur actuel manque de folie, de sang et d’excès – Coogler semble prêt à tout ramener, mais hésite au dernier moment. Le plus gros défaut de Sinners, c’est qu’il coupe toujours la scène juste avant la morsure, et au lieu d’effroi ou de brutalité, on se retrouve avec des clins d’œil au genre et des tableaux bluesy. Les vampires tiennent plus de la caricature : chantant devant le club, ils ressemblent parfois à des missionnaires mormons plutôt qu’à de véritables créatures de la nuit. Remmick, campé par Jack O’Connell, vole dans les airs, mais il fait plus rire que peur – surtout quand il se lance dans une danse irlandaise avant de redevenir un vampire sudiste. Le mélange culturel du film est si confus qu’on finit par lever les yeux au ciel… mais c’est aussi ce qui fait le charme du chaos ambiant.
Les effets spéciaux sont parfois à la peine, un simple éclat dans les yeux des vampires servant de tout l’attirail horrifique. Mais les acteurs rattrapent tout : Michael B. Jordan est au sommet dans les deux rôles, Stack, léger et flamboyant, Smoke, sombre et tragique. Son alchimie avec Steinfeld fonctionne à merveille, et les scènes avec Annie frappent juste. Wunmi Mosaku passe brillamment du petit au grand écran, tandis que Miles Caton s’approprie chaque séquence musicale. Coogler ne réinvente pas les vampires, mais il dirige ses comédiens à la perfection : tous sont au sommet, et c’est un vrai plaisir de les regarder.
Blues, sang, danse – mais l’horreur carbure à mi-régime
Sinners est une vraie décharge d’énergie : Coogler injecte dix ans d’expérience dans un essai de genre où l’image, la musique et l’action dominent. Quand les personnages sont superficiels ou que le scénario flanche, on lui pardonne – il est si rare de voir un film aussi audacieux, sauvage et éclectique. Reste que Coogler n’est pas encore un maître du film d’horreur – mais ce n’est pas grave. Sinners prouve qu’un cinéaste de talent peut s’aventurer hors de sa zone de confort, et que le genre ne s’en porte que mieux si on ose bousculer les codes. Le blues, le sang, la folie gothique sudiste, ce n’est pas pour tout le monde, mais si c’est votre univers, vous n’oublierez pas cette expérience.
– Gergely Herpai « BadSector » –
Sinners
Direction - 8.4
Acteurs - 8.2
Histoire - 8.2
Visuels/Musique/Sons/Action - 8.1
Ambiance - 8.2
8.2
EXCELLENT
Sinners oscille entre club de blues et cabaret de vampires – ça part parfois dans tous les sens, mais l’énergie, le style et la performance des acteurs sont un vrai régal. Michael B. Jordan s’éclate dans ses deux rôles, et Coogler mise moins sur le sang que sur l’audace musicale et cinématographique. Si vous cherchez du frisson classique, passez votre chemin, mais pour une expérience hybride, inclassable et folle, foncez sur HBO Max.