Le Japon a passé des années totalement obsédé par un jeu de rôle occidental qui a tout changé. L’industrie nippone a même consacré des années à produire des dizaines de clones. Wizardry, un dungeon crawler venu des États-Unis, est devenu un phénomène de masse dès son importation au pays du Soleil-Levant.
Hironobu Sakaguchi, le créateur iconique de Final Fantasy, a confié un jour : « J’étais obsédé par des jeux comme Wizardry à l’époque de l’Apple II, je ne peux nier leur influence. » Fait amusant, Yuji Horii, créateur de Dragon Quest, a tenu presque exactement le même discours—il a même admis s’être inspiré de Wizardry pour créer la mascotte “slime” de Square Enix.
Ça ressemble à une coïncidence, mais ce n’en est pas une. Wizardry (1981) a établi de nouveaux standards pour toute une génération de joueurs japonais—voilà pourquoi tant de JRPG cultes s’inspirent d’Ultima et surtout du système de dungeon crawler conçu par Sir-Tech.
Au Japon, la plupart des spin-offs Wizardry réinventent le jeu de 1981
Wizardry s’est imposé aux États-Unis pile au moment où la folie Dungeons & Dragons envahissait la pop culture, offrant des aventures sur table transposées en 3D. Rien d’étonnant à ce que la licence débarque au Japon grâce à ASCII Entertainment.
Les joueurs japonais sont tombés sous le charme de Wizardry, malgré l’absence d’adaptation de l’humour ou des énigmes. Ce qui frappe, c’est que même après la désaffection du public occidental, le Japon a continué à faire vivre la saga à sa façon. L’Amérique n’a donné qu’un seul spin-off officiel, le Japon en a sorti 39 (!), sans compter les innombrables adaptations et variantes indé qui restent populaires aujourd’hui. La série a ainsi traversé les époques sur des plateformes variées—PS3, DS, GBA, Android—même si la plupart de ces titres ne sont jamais arrivés en Europe.
Les rares localisations comme Wizardry: Labyrinth of Lost Souls (2009–2011) affichaient un look manga qui n’avait plus grand-chose à voir avec les goûts nippons d’origine. Ajoutez à cela une série principale dévoyée après l’épisode VI, et l’on comprend pourquoi certains pensent que Wizardry a toujours été une saga asiatique.
Pendant ce temps, les États-Unis sont restés fidèles à D&D : les étudiants qui y ont grandi ont fondé Black Isle (Fallout, Baldur’s Gate, Icewind Dale, Planescape: Torment)—d’où viennent aussi les équipes modernes d’Obsidian et d’Inxile.
Le Japon, lui, a absorbé les mécaniques d’Ultima et de Wizardry, lançant les carrières de Hironobu Sakaguchi (FF), Yuji Horii (DQ), Akitoshi Kawazu (SaGa), Yōsuke Niino (Shin Megami), Yoshio Kiya (Dragon Slayer). Les premiers JRPG mêlaient la carte façon Ultima au système d’exploration de donjons de Wizardry.
Ce clivage perdure. Par exemple, Wizardry introduisait déjà un système de « prestige », permettant à un personnage de recommencer au niveau 1 tout en conservant ses compétences—une nécessité vu la difficulté de l’époque. Les joueurs japonais ont passé des heures à « grinder » pour maximiser leurs chances.
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Voilà pourquoi dans Baldur’s Gate 3, on est limité au niveau 12 (fidèle aux règles D&D), alors que n’importe quel JRPG moderne permet d’atteindre le niveau 100. Les premiers FF et DQ reposaient aussi sur des systèmes de classes et de niveaux profonds, même si tout s’est simplifié avec le temps.
Ces racines sont encore visibles : pas dans Final Fantasy XVI (plus de rencontres aléatoires en extérieur), mais dans le récent cross-over avec Magic: the Gathering, où le système de jobs est de retour. L’an dernier, l’indé ukrainien Romanus Surt a même repris le code d’un clone Wizardry (Javardry) pour créer Dragon Ruins. Un simple filtre CRT a suffi à conquérir le Japon : 35 % des ventes viennent de là-bas !
Histoire et évolution du jeu de rôle à l’international
Si cet article s’est concentré sur la naissance du JRPG à partir de Wizardry, il ne faut pas oublier la source : tout commence aux États-Unis, avec Dungeons & Dragons (1976).
Le D&D et le « jeu de rôle papier-crayon » ont envahi les campus américains, poussant certains étudiants à coder leurs propres adaptations pour les terminaux universitaires. C’est ainsi que sont nés les MUD (Multi-User Dungeon), puis, avec Internet, les MMO commerciaux, jusqu’à World of Warcraft qui a tout redéfini. L’évolution se poursuit : chaque nouvelle génération tente de repousser plus loin la formule RPG/dungeon crawler.
Une des toutes premières adaptations D&D universitaires était Oubliette (1977) sur PLATO, source d’inspiration directe du premier Wizardry de Sir-Tech. La saga compte huit épisodes principaux, mais son héritage va bien au-delà. On peut encore télécharger et jouer à ces anciens MUD, et de nouveaux fleurissent régulièrement grâce à la passion de la communauté.
Source : 3djuegos