CRITIQUE DE FILM – La saga John Wick, qui a révolutionné le film d’action moderne, change aujourd’hui de tempo sous l’impulsion d’Ana de Armas. Ballerina prouve que l’univers n’a pas besoin de Keanu Reeves pour exister, mais bien d’idées neuves, d’une esthétique foisonnante et de séquences d’action à couper le souffle. Ici, les flammes des lance-flammes et l’énergie brute d’une héroïne électrisent la danse macabre de la vengeance et de la chorégraphie.
Peu de sagas d’action imposent leurs règles dès les premières minutes et transforment un genre tout entier. C’est pourtant ce qu’a réussi John Wick dès 2014 : un univers visuel saisissant, des chorégraphies millimétrées, une narration atypique – en bref, une réécriture totale du cahier des charges de l’action. Du ballet des armes à feu aux dialogues minimalistes, de la brutalité élégante au héros solitaire, tout est devenu une véritable signature, souvent imitée, rarement égalée. Dix ans plus tard, Ballerina, premier spin-off officiel de la franchise, démontre qu’il n’y a nul besoin ni de clichés, ni de John Wick lui-même pour que cet univers prospère. Ici, ce sont le décor, la virtuosité des combats et la vitalité d’une nouvelle héroïne qui reprennent le flambeau. Keanu Reeves a beau être une icône, dans ce chapitre, il n’est plus qu’un argument marketing, bien loin d’être indispensable à la dramaturgie.
Ana n’a pas froid aux yeux – et elle sait danser
Le réalisateur Len Wiseman et Ana de Armas insufflent un sang neuf à la franchise – Keanu Reeves peut enfin s’effacer, le relais est entre de très bonnes mains. Ballerina ne fait pas que s’intégrer parfaitement à l’univers imaginé par Chad Stahelski, elle apporte son propre ton et son propre souffle : tous les marqueurs visuels de la saga sont là – explosion de couleurs, photographie raffinée, action et chorégraphies reconnaissables entre mille –, mais tout est revigoré, renouvelé, sous un angle neuf. Le film ose prolonger l’héritage de John Wick en prenant une direction vraiment indépendante.
La grande force de Ballerina n’est pas sa façon d’étendre la mythologie de Wick, mais de tenir debout en tant qu’œuvre à part entière – elle fonctionnerait parfaitement, même sans mentionner Wick. Rien que pour l’action, on peut dire qu’il s’agit du meilleur film du genre depuis John Wick : Chapitre 4, ce qui n’est pas peu dire.
Ballerina s’insère parfaitement dans la chronologie de la saga, se situant entre John Wick : Parabellum et John Wick : Chapitre 4, tout en étoffant la mythologie criminelle et nous livrant un récit de vengeance pur jus. Eve Macarro, façonnée depuis l’enfance par les légendaires Ruska Roma (ceux-là mêmes qui ont formé John Wick), trace son chemin pavé de sang et de danse, redéfinissant l’art du combat à l’écran. Ana de Armas incarne une héroïne qui bouscule habilement les codes ; et la galerie de la saga John Wick est bien là : Keanu Reeves, Ian McShane, Lance Reddick, Anjelica Huston, Gabriel Byrne – le tout sous la direction de Wiseman, avec un scénario signé Shay Hatten et Emerald Fennell, la caméra inspirée de Romain Lacourbas et la musique palpitante de Tyler Bates.
Soyons honnêtes : si vous cherchez une réflexion existentielle, une critique sociale ou le sens profond de la vie, passez votre chemin. Sauf si, pour vous, la réponse à tout problème passe par une rafale de balles – auquel cas, il vaudrait mieux consulter un spécialiste qu’acheter une place de cinéma. Ballerina distille l’essence même du film d’action pur, dans ce qui se fait de plus raffiné et jouissif. C’est un divertissement de haut vol, rythmé, dont le scénario, certes, n’atteint pas des profondeurs inexplorées. Aurait-on pu viser plus haut, plus complexe ? Peut-être. Mais qui réclame cela devant un tel spectacle ?
Un univers qui hésite encore à faire confiance à sa nouvelle héroïne
Ballerina ne doit-elle son existence qu’au label John Wick ? Certains diront qu’il faut absolument Keanu Reeves pour que la magie opère, mais c’est bien l’inverse : les scènes les plus marquantes sont celles qui rompent avec la formule d’antan ; certains passages « gun-fu » paraissent presque plaqués, comme si le studio craignait notre réaction face au changement. Ana de Armas porte le film à elle seule, et Eve Macarro est si forte, si singulière, qu’il serait absurde de la laisser éternellement dans l’ombre de Wick. La saga pourrait enfin s’émanciper – à condition que les créateurs osent sauter le pas. Qui aurait parié sur une ballerine armée d’un lance-flammes pour relancer la machine ?
Ce qui fait la réussite de Ballerina, c’est de jouer dans le même univers sans jamais tomber dans la copie – à l’inverse de l’échec patent de The Continental, qui a sombré faute de personnalité. Si le studio s’accroche autant à ses icônes masculines, ce n’est ni la faute d’Ana de Armas ni du scénario : c’est une pure angoisse industrielle – à Hollywood, l’idée de modifier la recette effraie toujours, surtout si une jeune femme s’impose dans un monde d’hommes. Souvenez-vous de Furiosa. Si seulement les studios privilégiaient l’audace à la comptabilité, on y gagnerait tous.
Les meilleurs moments du film surviennent quand Ballerina ose tourner le dos à la nostalgie et se jette corps et âme dans son propre chaos. C’est là qu’on devine un nouveau départ, à condition que les créateurs croient vraiment en leur héroïne. Eve Macarro a suffisamment d’étincelle pour emmener l’univers où bon lui semble. Le monde de John Wick regorge de potentialités, bien au-delà des traditionnels carnages chorégraphiés. Il est temps de laisser le passé derrière et de donner enfin une chance à la relève.
Nouvelle héroïne, nouvelle recette – le public va-t-il suivre ?
Mais qu’en est-il du public ? Les spectateurs répondront-ils présent pour un film d’action mené par une femme, aussi brutal et stylisé soit-il ? Les précédents ne poussent pas vraiment à l’optimisme. Salt avec Angelina Jolie est aujourd’hui relégué en marge du genre. Lucy avec Scarlett Johansson a acquis un statut culte, mais n’a pas conquis le box-office. Atomic Blonde avec Charlize Theron ? Un des films d’action les plus stylés, et pourtant injustement sous-estimé – demandez aux fans, pas aux comptables.
Cette fois, Ballerina débarque adossé à un mastodonte du cinéma d’action, et cela peut tout changer. Mais il ne suffit pas d’un label : ce qui devrait attirer les spectateurs, c’est la puissance brute d’Ana de Armas, la force de son personnage, l’inventivité des combats et la fraîcheur du film. Hollywood devrait le comprendre : il nous faut plus de films d’action portés par des héroïnes intrépides. Plus de ballerines avec des lance-flammes, moins de regards vers le passé. Si Tarantino l’a fait avec Uma Thurman dans Kill Bill, pourquoi pas aujourd’hui ?
Pourquoi ne pas entamer une nouvelle danse dès maintenant ?
Ballerina, ce n’est pas une simple extension ou une case à cocher dans une franchise – c’est la vraie chance d’ouvrir un nouveau chapitre pour une série qui commençait à tourner en rond. Le vrai obstacle, c’est Hollywood lui-même : tant que les studios resteront accrochés à Keanu Reeves, la révolution attendra. Reeves est une légende, mais l’univers de John Wick est assez solide pour s’envoler sans lui. Il serait temps de prendre des risques, car le public est avide de nouveautés, pas d’une énième redite nostalgique. Qui a dit que le changement ne pouvait pas débarquer en tutu avec un lance-flammes ?
En vérité, la clé du renouveau a toujours été là : nul besoin de cloner Keanu Reeves pour que la saga survive – il faut laisser la place à de nouveaux visages et à des idées vraiment inédites. Ballerina sort enfin dans les salles françaises le 6 juin (nous étions à la projection presse au Westend) – et si vous cherchez un film d’action authentique et nerveux, ne ratez surtout pas ce rendez-vous. L’avenir du film d’action ne se trouve pas dans les vieux noms fanés, mais dans les étincelles furieuses que ce film fait jaillir. Ici, tout finit par s’embraser.
-Gergely Herpai « BadSector »-
Ballerina
Direction - 8.1
Acteurs - 8.2
Histoire - 6.8
Visuels/Musique/Sons/Action - 9.2
Ambiance - 8.2
8.1
EXCELLENT
Ballerina n’est pas qu’un lifting pour l’univers John Wick : c’est une véritable transfusion pour tout le cinéma d’action. Ana de Armas endosse enfin le flambeau, mêlant sang, sueur et lance-flammes avec panache. Et si vous pensiez avoir déjà tout vu au cinéma – ce film appuie à fond sur l’accélérateur pendant deux heures et demie, avant même que le générique n’ait le temps de refroidir.