Quand le marketing franchit la ligne rouge – Les heures sombres de la pub Command & Conquer

Considéré comme l’un des monuments de la stratégie vidéoludique, Command & Conquer est aussi tristement célèbre pour ses campagnes publicitaires sulfureuses. Le classique de Westwood n’a jamais reculé devant la provocation, s’appuyant sur des classements de dictateurs et des clichés de guerre réels pour vendre sa vision d’une guerre virtuelle où seuls les scores macabres comptent.

 

Aujourd’hui, les pubs de jeux vidéo se ressemblent toutes, mais les années 90, c’était l’anarchie. A l’époque, la moquerie du concurrent était monnaie courante, mais Command & Conquer a repoussé toutes les limites. Leur annonce pleine page montrait une photo réelle de massacre militaire, une audace qui frôle l’indécence la plus absolue.

Rien d’imaginaire ici : il s’agissait du cliché authentique de la tristement célèbre Autoroute de la Mort (Highway 80) pendant la Guerre du Golfe, où en février 1991, des milliers de soldats irakiens en fuite furent massacrés par les forces alliées, avec aussi des civils parmi les victimes. Ce bombardement a transformé des kilomètres de route en cimetière mécanique, digne d’un film post-apocalyptique. Selon les estimations, le bilan humain se situerait entre 200 et 1 000 morts. Quatre ans plus tard, un responsable de Virgin Interactive jugeait pertinent d’utiliser cette tragédie pour promouvoir la nouveauté Westwood.

Qu’est-ce qui a bien pu leur passer par la tête ?

La publicité arborait ce slogan glaçant : « Il n’y aura pas de Quatrième Guerre mondiale. Le jeu qui ne fait pas de prisonniers. » Un message cynique alors que l’attaque réelle avait causé près de 2 000 prisonniers. En clair : « Si la vraie guerre t’attire, la version virtuelle t’attendra – avec la bande-son de Frank Klepacki en prime ! »

Enfant, j’étais passionné par Command & Conquer. Après Dune II : La Bataille d’Arrakis, je n’attendais que sa sortie. Je lui préférais même Warcraft II, même si Blizzard a finalement pris le dessus. Westwood avait pour moi le don de transformer tout en or. Mais cette publicité m’a marqué à vie. À dix ans, je doute de l’avoir vue dans les magazines locaux, mais son impact était réel. Virgin n’a jamais présenté d’excuses officielles, mais après le scandale (surtout au Royaume-Uni), la pub a discrètement disparu des pages. Rien d’étonnant : instrumentaliser une tragédie pour vendre un jeu vidéo est indéfendable. Imaginez aujourd’hui une promo avec des images d’Ukraine ou de Gaza – la réaction serait immédiate et planétaire.

 

Une campagne pensée pour choquer

 

Ceux qui croient à un simple accident de parcours se trompent : tout le plan marketing jouait sur la controverse. La bannière “Previous High Scores” mettait en avant des dictateurs historiques – Hitler, Staline, Mussolini, Napoléon, Saddam Hussein, Kadhafi – et même le président français Jacques Chirac, chacun affichant ses « scores » macabres, comme si le joueur devait les dépasser dans Command & Conquer. En France, la polémique a été immédiate.

L’Autoroute de la Mort est revenue dans d’autres jeux, notamment Call of Duty : Modern Warfare (2019), où une mission se déroule sur une route du même nom, cette fois dans le pays fictif d’Urzikistan, avec les Russes désignés comme coupables – déclenchant à nouveau des accusations de réécriture de l’histoire. Je comprends la polémique, mais quand un jeu exploite la réalité dans un but artistique, je peux l’accepter. Avec Command & Conquer, ce n’était que du choc gratuit, sans aucune ambition créative.

À l’époque, le jeu vidéo voulait prouver qu’il pouvait être « adulte » – loin des univers SF bon enfant. Mais là, la pub est allée trop loin, exploitant de vraies victimes pour écouler une fiction guerrière. Aujourd’hui, elle fait partie des pages les plus sombres de l’histoire vidéoludique : effrayante, fascinante, et une leçon sur les limites à ne jamais franchir. J’adore Command & Conquer, mais ce spot restera impardonnable.

Source: 3djuegos

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