La Russie a officiellement nationalisé le développeur de World of Tanks, illustrant une nouvelle étape dans la quête du Kremlin pour contrôler la technologie et le numérique. Ce qui avait commencé comme une volonté d’internet souverain s’est transformé en une véritable razzia des entreprises numériques les plus rentables. L’un des jeux en ligne russes les plus populaires appartient désormais à l’État.
MISE À JOUR : Entre-temps, le représentant officiel de Wargaming nous a contactés et nous a informés de l’affaire comme suit : « Il n’existe pas de version russe de World of Tanks en Russie (Wargaming s’est complètement retiré du marché russe), mais il existe désormais un jeu entièrement développé par Lesta, Mir Tankov, dont le nom peut se traduire par « World of Tanks », mais qui n’a rien à voir avec nous. »
Lesta n’a plus rien à voir avec World of Tanks et le jeu qu’ils développent – bien qu’il porte le même titre – n’est pas identique au World of Tanks original.
ARTICLE ORIGINAL : La nationalisation de Lesta Games, le studio derrière World of Tanks, est désormais actée. Selon The Bell, le tribunal du district de Taganski à Moscou a ordonné la saisie des actifs russes du studio pour motifs d’extrémisme. À l’origine de cette décision, la qualification du fondateur de Wargaming, Viktor Kisly, et du propriétaire de Lesta, Malik Khatazhaev, comme « organisation extrémiste » après l’ouverture d’une procédure par le parquet général.
Depuis des décennies, les développeurs russes prospéraient sans intervention majeure de l’État. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine, le secteur est bouleversé par une vague d’acquisitions et de manœuvres politiques. Yandex a déjà été démantelé, Ozon.ru pourrait suivre, et VK multiplie les rachats. De son côté, Wildberries, leader du e-commerce, a fusionné avec Russ, une entreprise d’affichage dix fois plus petite et sans réelle synergie.
World of Tanks, nouveau trophée de l’État russe
Le message du Kremlin est limpide : quitter la Russie revient à condamner la guerre de Poutine, et même une critique implicite peut suffire à déclencher une nationalisation. Lesta Games, qui a repris les versions russes des jeux Wargaming après 2022, a été pris pour cible, en partie à cause d’une collecte de fonds organisée par Wargaming pour une œuvre caritative ukrainienne en 2023, même si la campagne n’a pas eu lieu dans la version russe du jeu. Malgré un soutien affiché aux troupes russes, Lesta n’a pas réussi à dissiper ses liens avec Wargaming aux yeux des autorités.
En 2024, Lesta affichait 35 milliards de roubles de chiffre d’affaires (390 millions $) et 16 milliards de profits, avec 60 millions de comptes enregistrés et 6,5 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Selon le Forbes russe, Lesta figure dans le top 10 des entreprises Runet les plus valorisées, à 1,5 milliard $ – soit le double de VK, mastodonte contrôlé par l’État. Des rumeurs évoquaient l’intérêt de Gem Capital et VK pour un rachat, mais Wargaming gardait la possibilité de retirer ses licences de jeu en cas d’OPA hostile, ce qui priverait Lesta des boutiques d’applications et de Steam.
La « nationalisation par l’extrémisme » devient la norme
Depuis le début de la guerre, de nombreux actifs privatisés dans les années 1990 sont repassés sous contrôle public. Les analystes préviennent : l’étiquette « extrémisme » pourrait bien devenir l’outil légal privilégié pour accélérer la nationalisation en Russie. World of Tanks et Lesta en sont aujourd’hui la parfaite illustration : dans le jeu vidéo russe, la politique est désormais partout.
Source : IntelliNews