CRITIQUE DE FILM – Hurry Up Tomorrow n’est pas simplement une introspection musicale, mais un thriller visuellement époustouflant qui plonge au cœur de la crise identitaire et de la psychologie de la célébrité. La collaboration entre Tesfaye et Shults offre une vision singulière du cinéma contemporain, où les frontières entre rêve et réalité s’effacent progressivement.
Hurry Up Tomorrow est un thriller psychologique musical réalisé par Trey Edward Shults, avec Abel “The Weeknd” Tesfaye, Jenna Ortega (Mercredi) et Barry Keoghan (Saltburn) dans les rôles principaux. Le film est étroitement lié à l’album éponyme de Tesfaye, explorant les thèmes de la célébrité et de la quête identitaire. L’histoire suit Abel, un musicien souffrant d’insomnie, qui, après une rencontre énigmatique avec une femme mystérieuse, plonge dans les profondeurs de son propre être. Le film sortira en salles le 16 mai et suscite déjà une grande curiosité.
À la frontière du rêve et de la réalité
Le récit tourne autour d’Abel, musicien insomniaque, dont la rencontre avec Anima, une femme énigmatique, déclenche une exploration intérieure vertigineuse. La mise en scène de Shults oscille avec maîtrise entre réalité et illusion, emmenant le spectateur dans un voyage psychédélique. Le style visuel rappelle l’atmosphère oppressante des jeux Silent Hill, avec des images sombres et floues qui intensifient la tension. Comme dans ses précédents films, It Comes at Night et Waves, Shults place les luttes intérieures au cœur de son œuvre. Au fil du récit, les repères se brouillent, et le spectateur est happé dans un monde onirique et hypnotique. Toutefois, certaines scènes centrales paraissent inutilement étirées, comme un clip vidéo où Tesfaye semble s’éterniser dans une souffrance trop démonstrative. Malgré cela, la réalisation visuelle est impressionnante et la mise en scène brillante.
Des performances d’acteurs marquantes
Abel Tesfaye, qui ne se présente pas ici en tant que The Weeknd mais comme une version assombrie de lui-même, incarne avec une sincérité déroutante le personnage d’Abel. Bien que sa performance ne soit pas toujours techniquement irréprochable, sa vulnérabilité et son intensité émotionnelle captivent. Ses scènes silencieuses, où son regard vide et ses traits crispés disent tout, sont parmi les plus puissantes du film. Jenna Ortega, dans le rôle d’Anima, incarne la part féminine refoulée avec une énergie nouvelle et troublante. Son jeu oscille entre froideur analytique et douceur désarmante, déstabilisant autant le spectateur que le protagoniste. Anima n’est pas une simple contrepartie féminine, mais le miroir intérieur d’Abel, obligeant le spectateur à réfléchir à ses propres émotions refoulées.
Le rôle de Barry Keoghan peut sembler secondaire au premier abord, mais il devient rapidement l’une des présences les plus intenses à l’écran. Son personnage, Lee, manager d’Abel, dépasse largement le rôle de figurant pour incarner une force brute, impitoyable, déterminée à ramener Abel sur scène, quitte à sacrifier sa santé mentale. Keoghan déploie une rage contenue, chaque mot tranchant révélant sa frustration explosive. Il incarne un démon contemporain, une personnification féroce de la gloire obsédante. Son accent irlandais apporte une touche d’authenticité et de contraste culturel, comme s’il tentait de s’immiscer dans la chute d’une icône américaine. L’intensité qu’il dégage donne une tension palpable à chaque scène, jusqu’à devenir la force catalytique qui menace de briser Abel. Plus qu’un antagoniste, il devient un mentor ambigu, un ami brutal et une menace persistante.
Les scènes entre Ortega et Tesfaye forment le cœur émotionnel du film. Leur alchimie est indéniable, et leurs échanges, empreints de tension, résonnent avec force. Anima, incarnation de l’inconscient d’Abel, n’est pas un simple personnage secondaire mais une projection de ses facettes oubliées, négligées derrière les masques imposés par la célébrité. Ortega incarne une présence à la fois distante et intime : elle ne cherche pas à séduire, mais à confronter. Dans une interview accordée à Empire, Ortega déclare : « Il a négligé son anima, et il ne sait même pas ce que cela signifie dans sa vie, car depuis qu’il s’est imposé cette existence de musicien, il pense devoir devenir quelqu’un d’autre. » Cette citation résume à merveille le sens de leurs interactions : Anima pousse Abel à se confronter à ses traumatismes, à son moi réprimé, avec une acuité presque thérapeutique.
L’une de leurs scènes les plus fortes est muette : Ortega observe depuis la salle le concert de Tesfaye, immobile, silencieuse, tandis que la voix du chanteur se brise sur scène, ne laissant que la souffrance. Cette scène, bien que sans dialogue, symbolise visuellement la confrontation entre Anima et l’alter ego en chute libre d’Abel. Le reste de leurs échanges s’articule autour de dialogues tendus, où les mots deviennent des armes autant que des outils de guérison. Ortega joue avec une précision telle que chaque réplique frappe juste. Face à elle, Tesfaye abandonne peu à peu son armure de “The Weeknd”, pour révéler une vulnérabilité poignante. Leur relation est tour à tour conflictuelle et salvatrice, toujours profonde et symbolique. Anima est bien plus qu’un intérêt amoureux : elle est la clé de voûte de la reconstruction identitaire d’Abel, sans laquelle il serait perdu à jamais dans son propre cauchemar sonore.
L’harmonie entre musique et mise en scène
La mise en scène de Trey Edward Shults et l’univers musical d’Abel Tesfaye coexistent ici en parfaite synergie hypnotique. Hurry Up Tomorrow dépasse le simple audiovisuel pour devenir un véritable état de conscience : une vision psychologique lente et envoûtante, où la musique agit comme moteur émotionnel du récit. Le travail conjoint de Daniel Lopatin (Oneohtrix Point Never) et Tesfaye ne se contente pas d’accompagner l’action – il s’insinue comme une pulsation intérieure, marquant chaque étape de la décomposition mentale du protagoniste. Les textures électroniques, les nappes ambient flottantes, les distorsions subtiles et les pulsations métalliques traduisent un monde déjà fragmenté, que seule la musique tente encore de maintenir en cohérence.
Shults, déjà adepte d’une grammaire cinématographique centrée sur les traumatismes dans It Comes at Night ou Waves, semble ici pousser tous ses codes stylistiques à l’extrême. Les montages oniriques, les plans longs et soutenus, l’éclairage surnaturel et une symbolique inquiétante créent une atmosphère flirtant avec l’horreur psychédélique. Le spectateur se perd entre réalité, souvenirs et visions intérieures – cette ambiguïté devient un atout majeur de mise en scène. Certaines scènes rappellent l’oppression de Midsommar ou de Us, tandis que d’autres évoquent un opéra halluciné à la Prince revisité par Nicolas Winding Refn en pleine dépression.
Le cœur du film divisera : à mi-parcours, l’intrigue abandonne la narration classique pour glisser vers une séquence hypnotique faite de sons, d’images et de corps. Tesfaye n’y est plus acteur mais symbole errant dans un purgatoire audiovisuel. Ces passages, proches du clip musical étiré, sont en réalité essentiels à l’expérience globale – à condition de s’y abandonner. Ils ne sont pas immédiatement accessibles, mais rendent l’œuvre infiniment plus dense que ce qu’elle laisse paraître.
La direction artistique et la photographie sont irréprochables – les images sont à la fois éblouissantes et dérangeantes. Les décors sombres, parfois stroboscopiques, les bleus et rouges surnaturels, les séquences oniriques à la caméra portée renforcent l’idée d’un voyage intérieur, où chaque choix visuel porte un poids psychologique. Les scènes évoluent dans une temporalité flottante – les personnages semblent évoluer non dans un récit linéaire, mais dans un espace mental, où chaque son, chaque mouvement, reflète une âme en crise.
En définitive, Hurry Up Tomorrow est, sur le plan visuel et sonore, une expérience dense et immersive, un véritable trip psychotique. Shults et Tesfaye refusent toute narration classique, préférant bâtir un labyrinthe sensoriel où le spectateur doit renoncer à toute attente pour s’y retrouver. Ceux qui acceptent ce défi vivront une expérience cinématographique inoubliable.
Un voyage au cœur de l’âme
Hurry Up Tomorrow est un film singulier et visuellement saisissant, qui explore en profondeur les notions de crise identitaire et de célébrité. La collaboration entre Tesfaye et Shults injecte une vision inédite dans le paysage du cinéma contemporain. Malgré quelques longueurs, l’œuvre offre une expérience marquante. Sa richesse psychologique et sa direction artistique en font une œuvre majeure du cinéma actuel. La fin du film apporte une forme de catharsis, concluant le voyage d’Abel et offrant au spectateur une perspective nouvelle.
– Gergely Herpai « BadSector –
Hurry Up Tomorrow
Direction - 7.6
Acteurs - 8.1
Histoire - 7.4
Visuels/Musique/Sons - 9.1
Ambiance - 7.8
8
EXCELLENT
Hurry Up Tomorrow est un thriller visuellement impressionnant, plongeant dans les méandres de la psychologie humaine, où les frontières entre rêve et réalité se brouillent. Les performances de Tesfaye, Ortega et Keoghan sont mémorables, et la réalisation de Shults transcende le genre. Bien que certaines scènes puissent paraître longues, l’ensemble constitue une expérience inoubliable pour le spectateur.