ENTRETIEN – Dans l’adaptation animée de Csongor és Tünde, Péter Geszti prête sa voix à Kurrah, un petit démon espiègle dont la malice et l’impertinence reflètent étonnamment la personnalité du parolier et acteur. Nous avons discuté avec lui de la préservation de l’esprit d’enfance, de la liberté du doublage, des contradictions de l’industrie musicale actuelle et de son manque d’intérêt pour l’univers du jeu vidéo.
Dans cette version animée du classique de Vörösmarty, Péter Geszti donne vie à un personnage à la fois joueur et légèrement diabolique : Kurrah, le petit démon malicieux. Les spectateurs hongrois connaissent bien la voix de Geszti grâce à ses nombreux travaux dans les films d’animation, les publicités et les chansons. Mais ce rôle lui est particulièrement cher, incarnant son esprit enfantin, sa liberté d’interprétation et ses instincts créatifs de longue date. Dans cet entretien, il évoque les défis du doublage, les paradoxes de l’industrie musicale numérique, la question du financement public, et même la possibilité de prêter sa voix à un personnage de jeu vidéo.
theGeek : Comment êtes-vous arrivé sur le projet du film d’animation Csongor és Tünde et qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
Péter Geszti : Honnêtement, je ne sais pas exactement pourquoi ils m’ont contacté, mais j’ai quelques hypothèses. Peut-être parce que, enfant, j’avais joué dans le film d’animation Ludas Matyi, et qu’il en est resté un souvenir ou une confiance. Une autre raison est que j’ai toujours accepté ce genre de projets avec enthousiasme. Pour moi, c’est un jeu, un voyage dans le passé. Cela me permet de conserver cette perspective enfantine qui nourrit mon inspiration et ma créativité.
tG : En quoi doubler Kurrah a-t-il été différent de vos expériences précédentes, comme le paresseux dans L’Âge de Glace ?
G.P. : Le plus important était d’éviter de retomber dans la voix du paresseux. C’est un risque réel, surtout si l’on ne fait pas régulièrement du doublage. Kurrah est un peu méchant, et en cherchant sa voix, j’avais parfois l’image de Gargamel par Péter Haumann en tête. C’est là que l’intervention du directeur de doublage est cruciale : pour corriger votre trajectoire si nécessaire. J’ai toujours cette envie de jouer avec les voix, même dans la vie quotidienne, pour faire rire mes amis. Pour moi, ce n’est pas un travail, c’est un plaisir.
tG : Trouvez-vous le doublage plus difficile que la musique ou la scène ?
G.P. : Heureusement, je ne suis pas devenu acteur professionnel, et c’est sans doute mieux ainsi. Je ne serais probablement pas très bon acteur. Je suis le meilleur lorsque je peux intégrer mon humour, mon ironie et mon autodérision dans mes personnages. Que ce soit avec le paresseux ou le DJ déjanté du Cinquième Élément, il y a toujours eu cette exagération ludique. Kurrah suit la même logique. Il semble méchant, mais il est avant tout joueur. Il n’y a pas de méchanceté en moi, juste une envie permanente de jouer.
tG (Anikó) : Le texte du film est brillant.
G.P. : Absolument, et tout le mérite en revient à Dávid Speier. Il a entièrement réécrit le script, et je dois dire qu’il a fait un travail magistral. Si j’avais dû l’écrire moi-même, je doute que cela aurait été aussi réussi. Même aujourd’hui, en venant ici, j’ai noté une nouvelle réplique sur mon téléphone. Mon instinct de parolier reste très actif. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces du film : ses dialogues.
tG : Vous avez exploré de nombreux domaines artistiques. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’industrie musicale ?
G.P. : C’est très contrasté. La technologie permet aujourd’hui à n’importe qui de faire de la musique, ce qui est formidable en théorie. Mais en pratique, cela n’a pas vraiment généré davantage de véritables succès. Les plateformes numériques déversent des milliers d’heures de musique chaque jour, et c’est impossible à suivre. Et maintenant, avec l’IA capable de générer des voix – y compris la mienne – on pourrait bientôt créer chez soi une chanson de “Geszti” avec ma voix chantant comme Freddie Mercury. C’est à la fois fascinant et inquiétant. Il faudra un cadre juridique, mais cela ouvre aussi de nouvelles perspectives artistiques.
tG : Et qu’en est-il de la scène musicale hongroise ?
G.P. : Ceux qui s’en sortent sont ceux capables de faire des concerts live et de faire passer au moins une chanson sur dix auprès du public. D’un autre côté, il y a les artistes financés par l’État, qui en bénéficient financièrement mais stagnent souvent sur le plan créatif. C’est un processus néfaste. Je n’ai jamais eu besoin de subventions publiques — et pourtant, j’ai rempli deux fois une arène. Si vous travaillez pour le marché, vous devez en vivre. Les subventions devraient être réservées aux projets expérimentaux ou de grande valeur artistique.
tG : Vous êtes récemment revenu à la musique. Qu’est-ce qui vous a motivé ?
G.P. : Il y a trois ans, j’ai quitté le monde de la publicité, et depuis, je me consacre exclusivement à la musique et à la scène. Cela m’a rendu beaucoup plus heureux. Je regrette profondément la décennie entre 2000 et 2010 où j’ai cessé de faire de la musique. Aujourd’hui, je revis et je crée à nouveau, et j’adore ça.
tG : De quel projet musical êtes-vous le plus fier ?
G.P. : Trois projets me viennent en tête. D’abord, mon dernier concert “Geszti Sixxy” à l’arène, un travail de dix mois qui a permis d’atteindre un nouveau sommet en termes de spectacle et d’impact émotionnel, grâce notamment à mon ami artiste IA Dávid Szauder et au metteur en scène András Lakatos. Ensuite, les chansons du Livre de la Jungle et des Garçons de la Rue Paul, qui sont profondément ancrées dans la culture scolaire et communautaire hongroise. Enfin, ma participation à la Journée mondiale de l’autisme, où des enfants ont interprété mes chansons d’une manière bouleversante. Parmi elles figurait aussi le générique de l’émission Ász. Rien que pour cela, ces dix dernières années en valaient la peine.
tG : theGeek est un site dédié aux jeux vidéo. Quel est votre lien avec cet univers ?
G.P. : Aucun, en fait. Je n’ai jamais joué à des jeux vidéo. Je n’ai jamais pris le temps. J’ai regardé la série The Witcher et je l’ai beaucoup appréciée, mais la dernière fois que j’ai vu un jeu vidéo, c’était un pong rudimentaire sur une télé Videoton.
tG : Accepteriez-vous de prêter votre voix à un jeu vidéo si on vous le proposait ?
G.P. : Bien sûr, avec plaisir. Je ne serais peut-être pas idéal pour doubler des monstres, mais un personnage humoristique me tenterait beaucoup. Pour être honnête, ce n’est pas le travail qui me fait peur, mais le jeu lui-même. J’ai peur d’y devenir accro. J’ai toujours eu un esprit joueur. Même au football, c’était le plaisir de jouer qui m’importait, pas la victoire. Mais finalement, c’est l’écriture de chansons qui est devenue mon terrain de jeu.
Entretien réalisé par Gergely Herpai “BadSector”