Sortes de gentillesse – Tout le monde est bizarre dans les contes grotesques et absurdes de Yorgos Lanthimos

CRITIQUE DE FILM – Yorgos Lanthimos, le réalisateur grec connu pour ses récits de l’horreur grotesque, tels que Poor Things qui a été nommé pour plusieurs Oscars, nous raconte ici trois histoires distinctes avec, pour la plupart, les mêmes acteurs. Sortes de gentillesse n’est peut-être pas aussi ambitieux que son précédent film, mais il est tout aussi déjanté et grotesque — rappelant les visions surréalistes de Bunuel, Jean-Luc Godard ou Alain Resnais, avec une touche de body horror à la Cronenberg.

 

Après les visions « relativement normales » de La Favorite et Poor Things, Lanthimos revient à son rôle de provocateur. Cette fois-ci, il adopte un style plus proche de ses œuvres antérieures et plus surréalistes comme The Lobster, Canine ou Mise à mort du cerf sacré. Dans son dernier film, il collabore à nouveau avec Efthimis Filippou, le co-scénariste de ses précédents films, pour explorer les multiples facettes du contrôle : comment nous prétendons y résister mais revenons souvent à lui, et à quel point il peut limiter notre capacité à mener une vie satisfaisante.

 

 

Trois en un

 

Sortes de gentillesse regorge d’idées, donnant l’impression que Lanthimos et Filippou ont tenté de condenser trois films en une seule anthologie de trois heures. Pourtant, ce qui lie ces films ensemble d’un point de vue thématique reste sujet à débat. Ce qui est indéniable, c’est la maîtrise de Lanthimos dans le traitement du ton, créant un autre film qui oscille entre l’hystérie et la terreur, même lorsqu’il érigé des barrières contre l’interprétation facile. Le format anthologique rappelle l’idée que si vous essayez de faire deux (ou dans ce cas, trois) films à la fois, vous n’en produisez en réalité aucun qui soit véritablement cohérent. Cependant, l’audace du projet finit par triompher, appuyée par une distribution qui, une fois encore, donne le meilleur d’elle-même pour un réalisateur qui sait travailler avec des ensembles.

Le premier des trois récits au sein du film, même joueur par son titre, est La mort de R.M.F.. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que plusieurs noms de personnages s’intègrent dans le monogramme, nous incitant à deviner à qui cela pourrait se référer, même lorsqu’un personnage est introduit avec ces initiales affichées sur sa poitrine. Ça pourrait être lui, mais Lanthimos aime nous garder en haleine, donc il n’est pas surprenant que notre protagoniste s’appelle Robert Fletcher (Jesse Plemons), un larbin d’entreprise qui suit chaque ordre de son patron, Raymond (Willem Dafoe). Fidèle aux projets de Lanthimos, il prend un concept facile à comprendre et le pousse à des extrêmes théâtraux. Tu penses que ton patron est contrôlant ? Raymond dicte chaque minute de la journée de Robert, du moment où il mange jusqu’à celui où il doit faire l’amour à sa femme, Sarah (Hong Chau). Il va même jusqu’à ordonner à Robert de droguer sa femme pour provoquer une fausse couche — afin de rester sans enfants pour une meilleure productivité — jusqu’à son ultime directive : tuer un homme portant les initiales R.M.F., ce qui pousse finalement Robert à bout.

 

 

Le flic endeuillé… ou pas ?

 

Le chapitre central, R.M.F. s’envole, poursuit ce thème, mais devient sans doute un peu plus confus. Plemons revient dans un rôle différent, celui de Daniel, un homme qui semble d’abord en deuil après que sa femme (Emma Stone) a été présumée perdue en mer lors d’un accident d’hélicoptère. Son obsession pour sa disparition nuit à son travail de policier et à ses amitiés. Pourtant, lorsqu’elle revient soudainement, Daniel n’est pas heureux et se persuade rapidement que cette femme à sa porte n’est pas son épouse disparue. Daniel la pousse à prouver son identité et sa loyauté, ce qui conduit à un comportement de plus en plus extrême et dérangeant.

Enfin, il y a le riche R.M.F. mange un sandwich, qui réunit le thème de la destruction de l’autonomie : le patron contrôlant dans le premier segment, l’imposteur dans le second, et maintenant une secte cherchant à inverser la mort dans le dernier acte. Emily (Stone) et Andrew (Plemons) travaillent pour une secte dirigée par le mystérieux Omi (Dafoe) et son partenaire Aka (Chau), à la recherche d’une femme capable de ressusciter les morts. Lorsque Emily rencontre une personne qu’elle a vue en rêve, Rebecca (Margaret Qualley), elle devient obsédée par l’idée de prouver qu’elle est la bonne. Mais même si elle est attirée par la maison qu’elle a quittée, y compris une fille et un mari horriblement abusif (Joe Alwyn), Lanthimos utilise l’obsession inhérente de la secte pour le contrôle comme un terrain de jeu pour son style unique d’étrangeté troublante.

 

 

Trois histoires trop éloignées

 

Bien que Sortes de gentillesse soit riche en symboles et en techniques avant-gardistes, ce qui en fait un sujet parfait pour les essais académiques et les débats dans les cafés, on a l’impression que moins de réflexion a été consacrée à la façon dont ces pièces s’imbriquent par rapport à certains de ses meilleurs films. Plemons, qui offre non pas une, mais peut-être deux ou trois des meilleures performances de l’année, joue un rôle essentiel pour maintenir le film ensemble. Pourtant, on se demande s’il n’existait pas une version de ce film, réalisée avant que Lanthimos ne devienne un maître reconnu et un candidat aux Oscars, qui aurait pu être plus serrée, plus affinée avec un peu moins de liberté créative. Il mérite d’être libéré de tout contrôle, mais ce n’est peut-être pas toujours la meilleure chose.

Après ses récents Oscars, Lanthimos retournera probablement à un cinéma plus prestigieux, et Sortes de gentillesse pourrait finalement n’être qu’une simple parenthèse dans ce qui sera sans doute une longue carrière remplie de projets acclamés. Même si cela devient simplement une note de bas de page, cela rappelle que Lanthimos, totalement exempt de désespoir, est suffisamment confiant dans sa voix pour explorer tout ce qui le fascine, que quelqu’un d’autre le suive ou non.

-Gergely Herpai “BadSector”-

 

 

Sortes de gentillesse

Direction - 6.8
Acteurs - 9.1
Histoire - 7.2
Visuels/Musique/Sons - 6.7
Ambiance - 7.1

7.4

BON

Yorgos Lanthimos’ Sortes de gentillesse est un film débordant d'idées audacieuses, mais qui donne souvent l'impression d'être plus un puzzle chaotique qu'une œuvre d'art bien composée. Bien que Lanthimos parvienne à créer une atmosphère unique et que les performances soient fortes, le format de l'anthologie semble être trois histoires séparées, à moitié formées, qui ne se connectent que de manière lâche. Au final, le film laisse un goût doux-amer, comme s'il n'était pas certain d'être un coup de génie ou simplement un cas de trop-plein d'ambition.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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