Anora – Une romance tourbillonnante de fortune et de désir

CRITIQUE DE FILM – Parmi les pépites du programme de Cannes de cette année, Anora se distingue comme un voyage électrisant à travers deux mondes – russe et américain, deux langues – russe et anglais, et deux « devises » – l’argent et le désir. Dans la veine des rêves hollywoodiens, le récit entraîne deux jeunes de milieux radicalement différents dans les bras l’un de l’autre. L’histoire d’amour prend rapidement un tournant difficile, avec un twist : cette fois, les protagonistes sont une strip-teaseuse new-yorkaise et le fils insouciant d’un oligarque russe. Alors, combien de temps leur amour pourra-t-il tenir ?

 

Le réalisateur Sean Baker compare Anora à une sorte de conte de Cendrillon, mais dans la même mesure où The Florida Project, son film proche de Disney World, pourrait aussi passer pour un conte. Son approche subversive, romantique et libérée de l’histoire d’amour fait paraître Pretty Woman comme un conte de Disney. Anora est le cinquième film de Baker axé sur l’univers des travailleurs du sexe – des stars du porno aux prostituées – et, ici encore, il réinvente ses thèmes familiers en une expérience exaltante, un véritable tourbillon émotionnel. Si le cœur du film bat à Brighton Beach, c’est le Cyclone de Coney Island, à quelques pas de la promenade, qui en capture vraiment l’esprit chaotique.

 

 

Rencontre avec un « grand garçon » russe

 

Notre héroïne, Ani (Mikey Madison), travaille dans un club de strip-tease à Manhattan, où elle propose des danses privées aux clients d’affaires – jusqu’au jour où un excentrique jeune Russe, Ivan (Mark Eydelshteyn), de son vrai nom Vanya Zakharov, fait son entrée. Ani parle un peu russe, alors son patron l’envoie directement au service du nouveau client fortuné. Entre eux, le courant passe immédiatement, malgré une communication faite d’un mélange maladroit mais attachant des deux langues.

Ivan, avec sa gentillesse sincère et sa générosité sans arrière-pensée, est bien différent des clients habituels d’Ani, souvent plus âgés qu’elle. À peine plus vieux qu’elle, Ivan laisse Ani prendre l’initiative et le guide vers une salle privée, où elle le persuade aisément qu’il mène la danse. Cette dynamique se poursuit tout au long des 138 minutes du film : si les autres détiennent le pouvoir financier, Ani garde souvent le contrôle de la situation. Et dans les moments tendus où ce contrôle lui échappe – comme lorsqu’elle est retenue par trois hommes – Ani trouve vite un moyen de renverser la situation. À la fin de leur première soirée, Ivan a déjà son numéro de téléphone.

Après quelques rencontres privées dans la villa en bord de mer d’Ivan – un véritable palais avec un personnel dédié et des gardes privés –, Ani négocie avec lui une semaine d’exclusivité. Le prix ? 15 000 dollars, en espèces et à l’avance. Baker dépeint leur relation transactionnelle avec une honnêteté brute, sans jugement ni exagération – il la présente simplement, presque naturellement. Leur intimité, plus charmante et humoristique qu’indécente, montre Ani qui tente d’apprendre à connaître Ivan, tandis que lui, plein d’enthousiasme mais inexpérimenté, recherche surtout une satisfaction rapide avant de retourner à ses jeux vidéo ou sa télévision.

Ivan, inexpérimenté et emporté comme un lapin surexcité, se lance dans les moments intimes, jusqu’à ce qu’Ani lui propose de ralentir et de lui donner quelques conseils. Ivan finit par lui avouer son amour, et peu après, lui propose le mariage. Ani se laisse peu à peu emporter par la mentalité « maintenant ou jamais » d’Ivan – une échappatoire extravagante au quotidien du club. Ivan l’emmène à Las Vegas, où les chapelles sont ouvertes en continu. Certains reviennent de Vegas avec un tatouage ; Ani, elle, avec une bague de quatre carats et un certificat de mariage.

 

 

Qui contrôle vraiment ?

 

Dans un conte de Cendrillon classique, c’est ici que commencerait le « ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps ». Mais Anora n’a rien d’un simple conte de fées. Baker entre à peine dans le vif du sujet. Le rêve d’Ani dure environ 45 minutes, jusqu’à ce que les parents d’Ivan apprennent que leur fils a épousé une « traînée ». Madison joue le rôle d’Ani avec une telle authenticité qu’il est presque impossible d’éprouver de la sympathie pour les parents d’Ivan. Certes, Ani a été impressionnée par la vue de la suite d’Ivan et les voitures de luxe dans son garage, mais elle n’est pas une croqueuse de diamants. (Et si c’était le cas ? Chacun a sa propre « devise » – dans le cas d’Ani, la citoyenneté américaine, et donc une carte verte.)

Le film prend un tournant encore plus palpitant lorsque le parrain d’Ivan, Toros (Karren Karagulian), envoie deux hommes de main – un Arménien nommé Garnick (Vache Tovmaysan) et un « gopnik » russe, Igor (Yura Borisov) – pour « arranger » les choses. Baker mise sur l’énergie spontanée et chaotique qui avait fait la force de Tangerine, enrichie ici de visuels intenses, légèrement saturés. Le spectateur est tout entier du côté d’Ani, mais il n’y a pas de « méchants » au sens propre – juste une famille et des amis inquiets des choix d’Ivan.

Toros fait tout son possible pour annuler le mariage, tandis qu’Ani s’accroche à l’espoir d’un conte de fées, où leur amour serait réel. Ivan, quant à lui, préfère s’éclipser plutôt que d’affronter sa mère (brillamment interprétée par Darya Ekamasova), déjà en route depuis la Russie. Baker orchestre magistralement la montée des émotions, les tensions atteignant leur paroxysme au fil de chaque minute, laissant deviner qu’une catastrophe pourrait survenir d’un instant à l’autre. Si Ani venait à disparaître, qui s’en rendrait compte en premier ? La réponse : nous.

 

On croit tous aux contes de fées… jusqu’à ce que la réalité nous rattrape

 

Avec sa voix douce et juvénile (vue dans Scream en 2022), Mikey Madison insuffle un double contraste à Ani : malgré son cynisme, elle croit toujours au véritable amour – même si Ivan n’en est pas vraiment digne. Sous ses mèches scintillantes et ses ongles papillon, se cache une femme futée et ingénieuse, un personnage inoubliable qui symbolise les rêves et défis des travailleuses du sexe depuis des siècles. Baker a su saisir ce talent unique, et grâce à l’interprétation sincère de Madison, le public ne peut s’empêcher de s’attacher à Ani et de se laisser emporter par son parcours.

Mark Eydelshteyn incarne Ivan avec un charme juvénile rappelant Timothée Chalamet, adaptant son langage corporel en fonction de l’évolution de la perception d’Ani : d’abord un prince charmant, il perd progressivement son éclat à l’arrivée de ses parents. Karagulian livre une performance mémorable dans le rôle de Toros, le parrain arménien, réticent à mettre en péril ses liens privilégiés avec la famille Zakharov pour les frasques d’Ivan. En arrière-plan, Borisov, silencieux et observateur – surnommé par Ani « regard de violeur » – est finalement le seul à tenter sincèrement de rapprocher les mondes russe et américain.

Vu isolément, Anora est un film audacieux et divertissant. Cependant, replacé dans le contexte des thèmes récurrents de Baker – comme dans Starlet ou Red Rocket – il aborde des questions plus profondes : le travail du sexe est un vrai métier, bien plus central dans notre société que cette dernière ne veut l’admettre. En nous invitant à nous identifier aux personnes que nous objectivons souvent, Baker parvient à nous toucher bien plus qu’on ne l’aurait imaginé.

-Gergely Herpai “BadSector”-

Anora

Direction - 9.2
Acteurs - 9.4
Histoire - 9.1
Visuels/Musique/Sons - 9.1
Ambiance - 9.4

9.2

SUPERBE

Anora est une histoire brute et intense sur la rencontre de deux mondes, capturant d’un côté l’humour, de l’autre la complexité des relations entre richesse et émotions. Avec une sensibilité rare, Baker explore l’aspect humain du travail du sexe, envoûtant le spectateur sans qu’il s’en aperçoive. La performance remarquable de Madison assure que le public soutienne Ani jusqu’au bout.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines – including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)

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