CRITIQUE DE SÉRIE – Il existe des séries qui, après un premier succès, se reposent sur leurs lauriers – ce n’est assurément pas le cas de Severance. Sous la plume magistrale de Dan Erickson et la direction inspirée de Ben Stiller, ce chef-d’œuvre d’Apple TV+ repousse encore plus loin les dilemmes moraux et existentiels : enfer bureaucratique grotesque, drames de personnages ciselés, mystères superposés et un labyrinthe éthique de plus en plus obscur. Les couloirs immaculés et glacés de Lumon se transforment désormais en arènes de jeux dangereux, tandis que le spectateur s’enfonce toujours plus profondément dans la folie d’une conscience scindée. Cette saison offre vraiment tout – surtout si vous avez déjà cauchemardé d’être coincé dans un ascenseur.
Dès son lancement, la série culte de Ben Stiller et Dan Erickson s’est imposée comme un sommet du paysage télévisuel contemporain, mais cette deuxième saison relève encore la barre. Le nouveau responsable de l’Étage des Séparés, M. Milchick (Tramell Tillman), tente désespérément de maintenir un système en pleine décomposition, après que le protocole OTC a permis aux Séparés de s’échapper dans le monde extérieur. On apprend que Mark et l’équipe MDR, après leurs révélations fracassantes, sont devenus de véritables célébrités internationales, ce qui a poussé Lumon à instaurer une « réforme de la séparation » plus humaine et permissive. Mais avant que quiconque ne se réjouisse à l’idée de flâner tranquillement dans les couloirs stériles, il faut vite déchanter : chaque réponse pour les Séparés n’est qu’un nouveau gouffre, chaque porte recèle un secret encore plus sombre.
Chacun porte sa croix
Dylan, après un aperçu de la vie extérieure, se lance désespérément à la recherche de sa famille « dehors » – une quête loin d’être sans danger. Le cœur d’Irving se brise littéralement en apprenant que son âme sœur séparée partage sa vie avec un autre homme à l’extérieur ; sa douleur crève littéralement l’écran. Helly, quant à elle, est bouleversée en découvrant que sa version extérieure, Helena Eagan, n’est autre que la future PDG de Lumon – tout son combat contre le système prend alors une nouvelle dimension. Mark espère toujours se rapprocher de Helly, tout en étant hanté par la révélation que la directrice du bien-être, Mme Casey (Dichen Lachman), est en réalité son épouse, Gemma. La dernière fois qu’on a vu Mme Casey, c’était dans les couloirs sombres et inquiétants d’Irving Extérieur, se dirigeant vers le niveau de tests le plus effrayant de Lumon. Mark est prêt à tout pour la retrouver – et, chemin faisant, il découvre de nouveaux services, forge des alliances inédites, affronte des vérités glaçantes, mais les réponses ne font qu’engendrer de nouvelles interrogations.
Parallèlement, hors des murs de Lumon, la sœur de Mark, Devon (Jen Tullock), n’arrive pas à se remettre de la nouvelle que « elle est vivante » – heureusement, elle s’implique de plus en plus dans les aventures secrètes de son frère. L’irrésistible Ricken (Michael Chernus) flotte toujours sur un petit nuage, car Mark Séparé vénère son livre comme une Bible. Sans oublier Cobelvig (Patricia Arquette), dont le nom même trahit la double identité : Harmony Cobel/Mme Selvig – un clin d’œil savoureux dû à l’auteur de The You You Are. Elle s’emploie désormais de toutes ses forces à réparer les erreurs de management et à reprendre le contrôle.
Cette saison de dix épisodes élève la mise à tous les niveaux, met la loyauté à l’épreuve et étend l’univers de Severance avec une inventivité redoutable – surpassant de loin les rêves et surtout les cauchemars des spectateurs. La réplique cinglante de Dylan résume parfaitement la saison : « Il y a tellement de niveaux de bordel ici que je n’arrive même pas à les compter. » Les nouveaux étages et espaces inédits de Lumon plongent encore plus profondément dans la légende du cauchemar corporatiste, tandis que l’écriture et la construction de l’univers attisent davantage la tension morale : personnages et spectateurs sont confrontés à leurs propres limites, face aux questions éthiques de la séparation. Le récit est plus audacieux que jamais, mais ce sont la minutie du détail et la virtuosité du jeu d’acteur qui font toute la différence.
Double vie, double conscience
Dans cette nouvelle saison, on découvre enfin toute la richesse de la dualité entre Séparés et Extérieurs – les acteurs s’en donnent à cœur joie. Depuis l’amitié entre Mark et Petey, jamais un « bromance » de bureau n’aura été aussi mémorable : Cherry et Turturro livrent des performances subtiles et touchantes dans la peau de Dylan et Irving. Lower nuance magistralement le personnage de Helly : la Helly Séparée est une battante farouche et rebelle, tandis que l’Helena extérieure est une héritière glaciale, prête à tout pour l’entreprise et qui nie sans scrupules l’humanité des Séparés. Scott, qu’on a déjà beaucoup vu dans la vie extérieure la saison précédente, distingue désormais à la perfection les deux versions de Mark, offrant dans le final l’une des plus belles performances de sa carrière.
Parmi les nouveaux venus, impossible d’oublier Miss Huang (Sarah Bock), la jeune sous-directrice au caractère bien trempé, et M. Drummond (Ólafur Darri Ólafsson), qui jette une nouvelle ombre menaçante sur les couloirs de Lumon. Milchick était déjà une vraie « star » la saison dernière, mais Tillman explose littéralement cette année : il apporte humour, énergie, rage, désespoir, tout en essayant désespérément de transformer l’enfer bureaucratique en paradis. Mme Cobel, après avoir perdu sa position, se replie sur elle-même et revisite son passé ; Patricia Arquette excelle encore dans le rôle. Quant à Mme Casey (Dichen Lachman), mieux vaut ne rien dévoiler pour préserver la surprise.
En hommage à Mme Casey, j’ai tenté d’apprécier chaque épisode à égalité, mais trois épisodes, particulièrement audacieux et déstructurés, sortent franchement du lot – (trente points en moins, il m’en reste soixante-dix). Pour la première fois, on a droit à des épisodes focalisés exclusivement sur les Séparés ou les Extérieurs, de nouveaux décors inédits, des expérimentations créatives et des scènes glaciales tournées dans l’hiver gris de Kier, PE.
Un cauchemar peint à l’écran
Si vous pensiez que la première saison avait déjà atteint un sommet visuel, attendez de voir la suite : la deuxième saison de Severance est une véritable claque artistique. Jessica Lee Gagné, Suzie Lavelle et David Lanzenberg transforment chaque plan en tableau : la lumière d’un aquarium dans le salon sombre de Mark, le reflet d’un coucher de soleil sur la façade de verre de Lumon, un gros plan bouleversant… Chaque choix d’éclairage, de caméra, chaque jeu de couleurs sert parfaitement l’atmosphère, tandis que la bande originale primée aux Emmy de Theodore Shapiro sublime toutes les émotions. Samuel Donovan, Uta Briesewitz, Stiller et Gagné orchestrent l’ensemble avec une précision remarquable ; Stiller réalise cinq épisodes, dont deux mémorables et un final époustouflant. L’épisode sept de Gagné est tout simplement inoubliable : bouleversant, captivant, visuellement sublime – il hante longtemps après le générique.
Du chaos à la catharsis, des questions à l’angoisse
Cette deuxième saison apporte certes quelques réponses et permet d’approfondir certains personnages, mais elle s’avère encore plus complexe que la première. Entre les nouveaux fils narratifs et une mission urgente, il arrive que l’on s’y perde un peu, laissant certains personnages ou intrigues moins développés – un défaut qui sera peut-être corrigé à l’avenir. Ce qui est certain, c’est que la série avance avec une assurance folle, même lorsque nous, spectateurs, perdons nos repères. Quand l’heure des réponses viendra, nul doute que Severance saura être à la hauteur.
Quand le générique de fin défile, et qu’on se retrouve au beau milieu d’un chaos parfaitement orchestré, impossible de garder son calme : de nouvelles questions, de nouvelles angoisses, des peines de cœur et, chez beaucoup, l’envie de démissionner dès le lendemain. Même si l’attente jusqu’à la prochaine saison risque de mettre les nerfs de tous les fans à rude épreuve, cette saison en valait vraiment la peine – et on espère de tout cœur que la suite sera à la hauteur.
-Gergely Herpai “BadSector”-
Severance saison 2
Direction - 10
Acteurs - 10
Histoire - 9.6
Visuels/Musique/Sons - 10
Ambiance - 10
9.9
CHEF-D’ŒUVRE
La deuxième saison de Severance repousse les limites sur tous les plans : visuellement, narrativement, émotionnellement et moralement. Le jeu d’acteur, la construction du monde et la musique placent la série au sommet de la création télévisuelle contemporaine. Chaque minute d’attente est récompensée – et on ne regrette qu’une chose : que ce soit déjà fini… jusqu’à la prochaine saison.