Thunderbolts* – Et si les super-héros échouaient… comme nous ?

CRITIQUE DE FILM – Captain America: Brave New World avait promis de sortir le Marvel Cinematic Universe de la léthargie post-Endgame dans laquelle il s’était enlisé – mais il n’était finalement qu’un compromis brouillon et tiède. Thunderbolts*, en revanche, débarque comme un vieux câble de démarrage pour relancer le moteur. Réalisé par Jake Schreier, l’un des créateurs de la série Beef, ce nouvel opus, plus nerveux et plus divertissant – le 36e de la saga Marvel – joue certes des partitions familières (on y décèle un mélange dilué des Gardiens de la Galaxie et de Soldat de l’Hiver), mais s’en écarte suffisamment pour offrir une impression de fraîcheur. Ce chaos au rythme effréné, presque à l’ambiance de club underground, vient à la fois solder les restes de continuité et poser les rails de ce qui arrive ensuite – juste avant que les Quatre Fantastiques, prévus cet été, ne reprennent les commandes d’une franchise qui dérive de plus en plus. Thunderbolts* ne sauvera pas Marvel, mais rappelle avec force pourquoi on s’y intéressait autrefois.

 

Le point de départ n’est pas inédit – il rappelle même fortement un célèbre film de la concurrence. On se souvient de Suicide Squad de David Ayer, où un fonctionnaire du gouvernement (ironiquement joué par David Harbour, aujourd’hui tête d’affiche de Thunderbolts*) posait cette question centrale : « Et si Superman perdait la tête – qui pourrait l’arrêter ? » Ce dilemme en cachait un autre : qu’est-ce qu’une bande de bras cassés armés de revolvers et de sarcasme peut bien faire contre une menace invincible ? Thunderbolts* y apporte une réponse étonnamment convaincante, en envoyant son escouade de demi-héros affronter le surpuissant Sentry, alias Bob (Lewis Pullman), dans un affrontement qui s’éloigne intentionnellement des bastons prévisibles de Marvel. Mais nous reviendrons sur Bob plus tard.

 

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Le calme des perdants : une équipe de super-héros faite de laissés-pour-compte

 

Le nom Thunderbolts* viendrait à l’origine d’une équipe de softball de maternelle – un clin d’œil parfaitement adapté à cette escouade étrange composée d’ex-acolytes, de personnages mis de côté et d’anciens méchants. On y retrouve Yelena Belova (Florence Pugh), qui masque les pertes d’Endgame derrière des remarques moqueuses ; son père spirituel, le Gardien Rouge (Harbour), usé et alcoolisé ; le Capitaine America déchu John Walker (Wyatt Russell), toujours aussi antipathique ; Ghost (Hannah John-Kamen) et Taskmaster (Olga Kurylenko), tellement anonymes derrière leurs casques qu’on les confondrait avec le décor. Le tableau est complété par le Soldat de l’Hiver, Bucky Barnes (Sebastian Stan), qui, de tueur à gages d’Hydra, est devenu membre du Congrès – parce que, visiblement, la géopolitique dans le MCU relève toujours du gag absurde. On retrouve ici la dynamique classique de la « famille recomposée », mais Schreier et les scénaristes Eric Pearson (Black Widow) et Joanna Calo (The Bear) y insufflent assez de tensions et de contrastes pour éviter la redite.

Le récit débute alors que l’équipe est envoyée en mission pour… s’éliminer entre eux, sous l’ordre de leur mystérieuse agente de liaison de la CIA, Valentina Allegra de Fontaine (Julia Louis-Dreyfus, excellente). L’affrontement a lieu dans un laboratoire secret où se cache une autre expérience de Val : Bob, un homme doté de capacités surhumaines, habité par une entité sombre connue sous le nom de « Void ». Lorsque Bob entre en scène, Yelena, John, Ghost et Taskmaster réalisent vite que la vraie menace, c’est Val elle-même – qui rêve de créer un super-héros télécommandé pour un monde sans Avengers. Une ambition qui frôle la mégalomanie plus que la gestion des risques. « La justice sans pouvoir n’est qu’une opinion », lance-t-elle à sa subalterne Mel (Geraldine Viswanathan, Drive-Away Dolls). Si Veep disposait du budget de Marvel, le résultat serait celui-ci.

Ce n’est pas la vengeance qui les motive, mais leurs échecs enfouis

 

La vengeance suffit parfois à souder un groupe disparate – mais ici, ce n’est pas le moteur principal. Ce qui relie ces anti-héros, c’est qu’ils ont tous échoué – spirituellement, narrativement, voire en tant que produits dérivés. Ce sont les personnages secondaires abandonnés des dernières phases de Marvel, laissés en suspension après des films comme Black Widow, Ant-Man et la Guêpe ou Falcon et le Soldat de l’Hiver. Ils traînent leurs blessures, leur inachèvement, leur marginalisation maladroite. « Tu t’es épanoui ? », demande Yelena au Gardien Rouge. « Oh oui. Totalement. », répond-il, sourire figé. Mais le regard de Harbour raconte tout autre chose.

Thunderbolts* ne recule pas devant les sujets lourds : dépression, traumas psychologiques, estime de soi défaillante. Les personnages tentent d’abord de tout contenir sous un masque de professionnalisme froid – leur phrase fétiche étant : « Je vais bien. » Mais le film ne s’en contente pas. Il gratte sous l’armure et révèle ce qui se cache derrière. La chute de Bob et l’émergence du Void deviennent l’incarnation de cette pression mentale : un ennemi symbolique, miroir des démons intérieurs. À mesure que la folie s’empare de lui, les habitants de Manhattan disparaissent dans l’ombre, et la conclusion – contre toute attente – évite l’explosion numérique pour une fin plus sobre, plus introspective, plus humaine.

Ce n’est pas un algorithme qui a réalisé ce film – et ça se voit

 

Heureusement, le casting prend plaisir dans ce chaos. Florence Pugh – sans doute l’actrice la plus sensible de l’univers Marvel – insuffle à Yelena une vulnérabilité réelle derrière ses yeux fatigués, tout en se jetant du sommet du Merdeka 118 (le deuxième plus haut gratte-ciel du monde), habillée en commando dépressif façon Tom Cruise au féminin. Wyatt Russell parvient à fissurer la carapace de John Walker et à laisser entrevoir une détresse latente, ce qui rend son personnage – et l’acteur – bien plus intéressant. Mais l’unité de temps, resserrée sur une seule journée, limite l’ampleur dramatique. John-Kamen et Kurylenko sont quasi invisibles, leur arc narratif bâclé, ce qui est regrettable vu la volonté du film de sonder les failles.

David Harbour est à la fois bruyant et fatigant – il hérite des blagues les plus ratées et d’un énième monologue sur la réconciliation parent-enfant, censé refermer la fracture entre le Gardien Rouge et Yelena. Sebastian Stan, quant à lui, surgit tel un Terminator sexy et cabossé, et ne ralentit jamais le rythme.

Le film veut peut-être trop en faire, et trébuche parfois sur sa propre cadence – mais Thunderbolts* touche à quelque chose que Marvel avait oublié : il y a encore des humains derrière les masques. On pourrait louer le travail de Jake Schreier simplement parce qu’il émane d’auteurs en chair et en os, pas d’algorithmes – mais après les impasses multiverselles récentes, cette histoire centrée sur les personnages fonctionne. Elle ne se contente pas de promettre de la profondeur – elle y plonge. À l’intérieur des limites du PG-13, elle livre autant de blessures psychiques et d’hémorragies internes que possible. Ce n’est pas une révolution. Ce n’est pas la rédemption de Marvel. Mais Thunderbolts* prouve que ces personnages comptent encore. Et pour la première fois depuis longtemps, le spectateur pourrait ressentir la même chose.

– Gergely Herpai “BadSector” –

Thunderbolts*

Direction - 0.76
Acteurs - 0.82
Histoire - 0.78
Visualité//action/son - 0.72
Ambiance - 0.78

0.8

BON

Un film Marvel sincère et centré sur les personnages, où l'humain reprend enfin sa place. Ce n’est pas parfait, mais au moins ce n’est pas du plastique. Et cela vaut étonnamment beaucoup, aujourd’hui.

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BadSector is a seasoned journalist for more than twenty years. He communicates in English, Hungarian and French. He worked for several gaming magazines - including the Hungarian GameStar, where he worked 8 years as editor. (For our office address, email and phone number check out our impressum)