RÉTRO – Où va le monde si la seule personne capable de nous sauver d’une Troisième Guerre mondiale imminente est un homme qui se déplace en permanence dans l’ombre, explose instantanément toute ampoule qu’il aperçoit, et dont l’arme la plus utilisée est un simple couteau de combat ? Très bientôt, le 29 mars, cela fera 20 ans que ce chef-d’œuvre est sorti.
Sérieusement, à ce rythme-là, les fabricants d’antivirus peuvent aller se recycler dans l’agriculture ! Entre les spams qui s’infiltrent dans vos mails, peu importe votre filtre, et qui vous promettent la rencontre avec Suzy, la petite coquine, ou l’achat d’actions en ligne, et sans oublier ce mystérieux PSP “uniquement pour vous”, il y a de quoi devenir parano. Ensuite, il y a ces spyware qui s’incrustent dans Internet Explorer, ralentissent votre PC, et qui vous rappellent en permanence que vous pourriez tenter votre chance au casino en ligne, même si vous n’en avez strictement rien à foutre.
Et puis il y a les virus classiques. Si vous n’êtes pas prudent, ils peuvent pourrir votre système au point qu’il ne démarre même plus. Certains vont même jusqu’à s’attaquer au BIOS ! Mais tout cela n’est rien en comparaison de l’horreur que nous venons d’empêcher avec Sam Fisher. Ce virus informatique est pire que la peste médiévale : il peut saboter l’économie mondiale, déclencher des frappes nucléaires entre grandes puissances, et même s’infiltrer dans le système informatique du Pentagone pour publier la correspondance secrète de Bush avec Monica Lewinsky (« Bébé, j’aimerais que tu me le fasses comme à Clinton ! ») à la face du monde !
Moi, espion
Désolé pour cette introduction un brin cynique, qui pourrait passer pour un blasphème vu que nous parlons du meilleur jeu d’infiltration de tous les temps. Mais je voulais insister sur un point : aussi génial soit ce Splinter Cell, son intrigue démarre comme un mauvais roman de gare. Nous avons les méchants Nord-Coréens, alliés aux méchants Chinois, qui prennent en otage un cargo sud-coréen dans les eaux japonaises. Pendant ce temps, des guérilleros péruviens kidnappent un scientifique américain qui avait décodé le programme de Philip Masse (le génie informatique du premier jeu, passé du côté obscur). Et qui les États-Unis envoient-ils pour arranger tout cela ? Leur meilleur homme : Sam Fisher, l’agent spécial suréquipé, capable de sauver le monde libre de n’importe quelle crise.
Bref, le scénario du Chaos Theory démarre de façon affreusement prévisible et soporifique, et les scènes façon CNN n’arrangent rien. Franchement, j’ai eu du mal à me motiver au début, car la première mission se déroule dans un phare de nuit, un niveau que j’avais déjà retourné trois fois dans la démo. J’espérais un prologue aussi stylé que dans Pandora Tomorrow, mais rien de tout ça. Heureusement, dès la seconde moitié du jeu, les choses deviennent plus intéressantes, et plus le voile se lève sur les véritables responsables, plus l’intrigue prend de l’ampleur.
Ne vous attendez pas à un Jason Bourne, à Les Trois Jours du Condor ou même à un véritable roman de Tom Clancy, mais il y a quelques bonnes surprises qui rendent l’histoire plus captivante que dans les précédents opus. Seuls les briefings façon CNN m’ont franchement gonflé (sauf quand ils étaient involontairement drôles) : ce gimmick des reportages télé, c’est vraiment dépassé. Quant aux autres cutscenes, elles ne m’ont pas non plus impressionné, mais bon, après les cinématiques catastrophiques de Driv3r, j’ai des standards très bas…
La lame a ta gorge
Mais honnêtement, qui se soucie de l’histoire ou des cinématiques si le gameplay est aussi jouissif ? Splinter Cell: Chaos Theory apporte tellement de nouveautés que je ne sais même pas par où commencer. Peut-être par mon ajout préféré : le couteau de survie. Non seulement il colle parfaitement à l’ambiance, mais il révolutionne aussi le gameplay. Dans les anciens opus, Fisher assommait ses ennemis avec une pichenette ridicule. Cette fois, il a un énorme couteau et il sait s’en servir.
Si vous voulez avancer vite et éviter les interrogatoires, Fisher peut éliminer ses adversaires en silence, avec une efficacité redoutable. Un simple clic de souris permet de porter un coup, dont la nature dépend de la position de Fisher.
Si vous vous faufilez derrière un ennemi, une discrète lame dans le dos le fera taire instantanément. Face à lui ou accroupi, c’est un coup fatal dans l’abdomen. De côté, Fisher peut opter pour une ouverture chirurgicale de la gorge, avec un résultat aussi rapide qu’efficace. Si vous attrapez un garde et que vous l’interrogez, vous pourrez ensuite choisir entre l’assommer ou l’égorger froidement.
D’après Tibor Makrai, expert militaire (à qui j’avais d’ailleurs consacré une interview pour le premier Splinter Cell), un agent d’élite ne laisse jamais derrière lui des ennemis inconscients… à moins d’y être obligé. Fisher est donc plus impitoyable et létal que jamais, c’est indéniable.
Multitâche
Outre le couteau, une autre grande nouveauté du mode solo est que notre héros grisonnant reçoit désormais des missions beaucoup plus variées. Bien sûr, il y a toujours les objectifs principaux, ceux sans lesquels vous ne pouvez pas quitter la zone, mais à côté, on vous confie aussi des tâches du genre “Tant que t’y es, Sam, fais ça aussi, merci”.
Par exemple, il y a cette mission de reconnaissance de caisses qu’on voyait déjà dans la démo, et quasiment toutes les missions comportent des objectifs secondaires où il faut retrouver un certain nombre d’éléments. Si vous les complétez tous, le quartier général sera ravi.
Il arrive aussi qu’au beau milieu d’une mission, votre supérieur réalise soudain qu’il aurait bien besoin d’informations supplémentaires.
Ces infos, vous pouvez généralement les obtenir en écoutant les conversations ennemies ou en piratant des ordinateurs, lisant des e-mails, et fouillant les bases de données. Si vous ignorez complètement ces objectifs annexes, ce n’est pas la fin du monde : vous pourrez finir la mission quand même, et même votre éternellement insatisfait patron, Lambert, ne vous engueulera pas trop. Par contre, à la fin, votre score global en prendra un coup.
Visiblement, Ubisoft Montréal a voulu copier le système d’évaluation des Hitman. Ici aussi, votre performance est jugée en détail, et si ça motive certains à recommencer les niveaux en mode difficile pour atteindre 100 %, tant mieux. Mais un truc m’a bien gonflé : comme dans Hitman, on vous note en fonction du nombre d’ennemis tués, neutralisés ou évités – évidemment en faveur des deux derniers. Dans Hitman, ça a du sens, mais dans Splinter Cell, c’est un peu con. Heureusement, cette note ne sert strictement à rien : aucun bonus ou cinématique cachée à débloquer. Du coup, j’ai vite arrêté d’y faire attention.
Freestyle
Bien sûr, vous pouvez totalement ignorer ce système de scoring, d’autant plus que le jeu est bien plus ouvert que les précédents. Il y a généralement plusieurs chemins possibles pour atteindre un objectif, même si, soyons honnêtes, une fois qu’on trouve le plus sûr (souvent un conduit d’aération), on l’emprunte systématiquement.
Il y a aussi plusieurs façons de pirater les verrous électroniques et les scanners rétiniens. Si vous attrapez un garde et lui mettez la pression avec votre lame, il pourrait bien vous livrer un code, vous évitant ainsi d’avoir à forcer la serrure.
Le scanner rétinien peut toujours être contourné en utilisant un otage, mais une nouvelle méthode de piratage est aussi disponible. (Perso, je n’ai jamais eu l’occasion d’utiliser l’ancienne technique, j’ai toujours dû me contenter du piratage.) Un encadré explique son fonctionnement plus en détail, mais pour résumer : c’est frustrant et ça casse le rythme du jeu.
Certains ordinateurs permettent aussi de désactiver temporairement les caméras, ce qui est une chance, car dans Chaos Theory, elles sont carrément indestructibles. Peu importe l’endroit, même dans un village japonais miteux, ces saletés sont à l’épreuve des balles et des insultes. Heureusement, le pistolet de Fisher dispose d’un mode de brouillage temporaire qui désactive les caméras et les lumières. Très pratique quand des gardes rôdent dans le coin : éteindre une ampoule attire plus leur attention que ce brouillage temporaire.
À propos des caméras et des lumières, je dois avouer que j’ai mis un temps fou à comprendre un truc : à partir de la moitié du jeu, les développeurs sadiques ont dissimulé certaines caméras dans des sortes de boîtiers lumineux. J’ai cru à un bug en ne les trouvant pas, et j’ai passé un bon moment à pester en courant partout pour éviter d’être repéré… avant de comprendre le piège.
Silencieux ou brutal ?
Même si les Splinter Cell sont avant tout des jeux d’infiltration, Ubisoft a quand même pensé aux bourrins. Dans le premier opus et un peu dans Pandora Tomorrow, il y avait des passages où Fisher devait réagir vite et avec brutalité face à des ennemis en surnombre. Dans Chaos Theory, les développeurs ont adopté une approche plus flexible : vous choisissez votre style de jeu et l’équipement qui va avec.
Trois options sont proposées : l’une favorise l’infiltration, l’autre privilégie la puissance de feu, et la troisième est un mix des deux. En soi, ça ne change pas grand-chose (soyons réalistes, qui veut jouer à Splinter Cell comme à Doom ?), mais c’est le seul moyen d’accéder au fusil sniper SC-200 et au fusil à pompe. Le sniper est redoutable à longue distance, tandis que le shotgun est parfait si vous êtes repéré et que vous devez oublier la discrétion.
Le fusil à pompe vaut le détour, ne serait-ce que pour voir les ennemis valser sous l’impact et admirer la physique des ragdolls. Mais après avoir testé ces jouets, j’ai vite repris mon équipement d’infiltration habituel.
Le silence de la mort
L’utilisation des lunettes de vision nocturne et thermique reste inchangée : la première est indispensable dans l’obscurité (autrement dit, tout le temps…), tandis que la seconde sert à repérer des sources de chaleur, notamment en cas de brouillard. Mais honnêtement, la vision thermique est totalement inutile dans Chaos Theory : je ne l’ai activée que par accident.
Rester dans l’ombre est toujours crucial, et l’IA des ennemis réagit encore mieux aux mouvements suspects dans la pénombre. S’ils aperçoivent quelque chose d’inhabituel, ils s’approchent prudemment et observent un moment avant de reprendre leur ronde. Le bruit joue aussi un rôle majeur : désormais, un indicateur vous montre si vos pas dépassent le niveau sonore ambiant. Si c’est le cas, les gardes deviennent nerveux et prêtent attention.
Test de QI : réussi…
Puisqu’on en parle, il faut aussi mentionner l’intelligence artificielle. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que celle de Chaos Theory est la meilleure de toute la série Splinter Cell et, franchement, probablement l’une des plus abouties dans tous les FPS et TPS tactiques confondus.
Les ennemis ne réagissent plus seulement aux lumières éteintes ou aux ampoules explosées, mais aussi aux vitres brisées, aux ordinateurs éteints, aux serrures forcées, et même aux objets déplacés. Certains vont jusqu’à utiliser des fusées éclairantes pour vous repérer dans l’obscurité – ce qui peut s’avérer catastrophique si vous êtes dans leur ligne de mire.
Bien sûr, après un certain temps, on finit par cerner leurs routines et leurs réactions. Mais un vieux problème persiste : si vous tirez silencieusement sur une ampoule ou éliminez un garde à proximité avec un pistolet équipé d’un silencieux, les ennemis vous détecteront presque instantanément, et ce, même en plein noir. Non seulement c’est injuste, mais en plus ça casse un peu l’immersion.
En revanche, ils peuvent aussi surprendre par des comportements d’une logique implacable. Pris au piège, ils renverseront des meubles pour se mettre à couvert et essayeront de vous tendre des embuscades. Ces petits détails font toute la différence.
Un régal visuel
On a déjà beaucoup parlé des graphismes de Chaos Theory, donc pour aller droit au but : oui, tout ce qu’Ubisoft avait promis est bien là. Même avec une carte graphique moyenne, le jeu est superbe, et si vous avez une bête de course, préparez-vous à être bluffé.
Les textures, le rendu de l’eau, l’éclairage dynamique… Tout est d’une qualité jamais vue auparavant sur PC. Mention spéciale aux effets d’eau : entre les flaques scintillantes, les cascades en verre dans les décors japonais et les gouttes ruisselant sur les surfaces vitrées, on est clairement dans un autre monde. Même les studios comme id Software et Valve doivent en être verts de jalousie.
Les visages et animations des personnages ont aussi été refaits, et ça se voit. Quand Fisher menace un ennemi avec son couteau, on peut lire une vraie terreur dans le regard de sa victime. Et lorsqu’il l’étrangle, son expression crispée est parfaitement crédible. Bon, parfois son visage fait un peu cartoon, mais ça laisse une marge de progression pour le prochain opus.
Un bijou sonore
Graphismes mis à part, il faut aussi saluer le travail exceptionnel sur l’audio. Chaque environnement est vivant, avec des bruits d’ambiance ultra-réalistes : radios en marche, dialogues ennemis, craquements de plancher… tout est détaillé. En bonus, vous pouvez activer une option où chaque ennemi parle sa langue natale, même si dans ma version, il n’y avait malheureusement pas de sous-titres.
Les effets sonores sont également bluffants, avec une spatialisation parfaite. Si vous jouez avec un bon système audio, l’immersion est totale. Et puis il y a la bande-son d’Amon Tobin… un pur chef-d’œuvre. L’électro sombre et atmosphérique qu’il a composée colle parfaitement au jeu et s’adapte aux événements en temps réel.
Entre potes, c’est encore mieux
L’année dernière, Pandora Tomorrow avait mis tout le monde d’accord avec son mode multijoueur révolutionnaire. Ubisoft devait frapper encore plus fort avec Chaos Theory, et ils y sont parvenus, notamment grâce à l’ajout d’un mode coopératif.
Ce n’est pas juste une campagne solo jouable à deux : il y a quatre missions dédiées avec une histoire parallèle à celle de Sam Fisher. Vous incarnez deux agents anonymes du Third Echelon chargés de démanteler un réseau terroriste impliqué dans le marché noir.
Le coop commence par un tutoriel obligatoire, mais heureusement, il n’y a qu’un seul bouton à mémoriser pour toutes les actions en duo. Une fois sur le terrain, vous pouvez exécuter diverses manœuvres acrobatiques : faire la courte échelle, servir de pont humain ou carrément projeter votre partenaire dans les airs pour atteindre une zone inaccessible. Mention spéciale à l’attaque “torpille humaine”, où l’un des joueurs balance l’autre sur un groupe d’ennemis. Jouissif !
Les niveaux sont aussi bien conçus que dans le solo, avec des énigmes nécessitant une parfaite coordination. Par exemple, un joueur doit pirater une caméra pendant que l’autre passe furtivement. Un mode excellent, même si quatre missions, c’est un peu court. Espérons que des DLC viendront enrichir l’expérience…
Verdict
Splinter Cell: Chaos Theory est tout simplement le nouveau roi du genre infiltration. Son gameplay est magistral, sa réalisation technique met une claque à tout ce qui existait avant sur PC, et en prime, son multijoueur est une pépite.
Seuls bémols : une histoire un peu longue à démarrer et ces fichues cinématiques “journal télévisé” qui tombent à plat. Quelques niveaux auraient pu être plus inspirés, et j’aurais aimé voir plus de pays représentés dans l’intrigue. Mais c’est vraiment pour chipoter, car au final, Sam Fisher n’a jamais été aussi en forme.
-Gergely Herpai “BadSector”-(2005)
Les plus :
+ Des améliorations géniales
+ Le couteau est une vraie révolution
+ Graphismes spectaculaires
+ Mode coop captivant
Les moins :
– Début d’histoire assez plat
– Quelques niveaux manquent de créativité
– Campagne solo un peu courte
– Certains nouveaux mouvements sont inutiles
Éditeur : Ubisoft
Développeur : Ubisoft Montréal
Genre : Infiltration-action
Date de sortie : 29 mars 2005
Splinter Cell: Chaos Theory
Jouabilité - 9.4
Graphismes (2005) - 9.6
Histoire - 7.2
Musique/audio - 10
Ambiance - 9.2
9.1
EXCELLENT
Le gameplay de *Chaos Theory* est tout simplement brillant, les graphismes surpassent tout ce qui est sorti sur PC jusqu’à présent, et en prime, les deux modes multijoueurs sont tout bonnement géniaux. Seuls bémols : un début d’histoire un peu poussif et plat, ainsi que ces satanées cinématiques façon journal télévisé, d’un ennui mortel. J’ai aussi trouvé que certains niveaux manquaient un peu d’inspiration en termes de décors, et un plus grand éventail de pays aurait été appréciable. Mais ce ne sont que des détails, et ils ne retirent presque rien aux mérites des nouvelles aventures de M. Fisher.